Crise au Mali: pour Bréma Ely Dicko «la solution passe par une transition politique»
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Quelle solution pour sortir de la crise politique au Mali ? Après trois semaines de mobilisation contre le régime, l'opposition refuse les propositions du président Ibrahim Boubacar Keïta et des médiateurs de la Cédéao. Sous l'impulsion de l'imam Mahmoud Dicko, les manifestants essaient même d'élargir leur base. Peut-il y avoir dérive islamiste ? Quelle est l'attitude de l'armée ? Le sociologue Bréma Ely Dicko est enseignant-chercheur à l'Université des Lettres et Sciences humaines de Bamako. En ligne de la capitale malienne, il répond aux questions de RFI.
RFI : le président de l’Assemblée nationale, affirme : « La logique de ces manifestations, c’est d’ébranler toutes les institutions. Tout le Mali va être occupé par les jihadistes et beaucoup de ceux qui marchent sont avec les jihadistes ».
Bréma Ely Dicko : En fait, c’est de bonne guerre. Mais en réalité, ce genre de propos, de la bouche d’un président de la deuxième institution du Mali, sont des propos regrettables. Pour moi, c’est une grosse erreur de communication. C’est aussi une façon pour lui de sauver sa propre tête, parce qu’il sait que l’imam Mahmoud Dicko et tout le mouvement M5 réclament le départ du régime d’IBK [Ibrahim Boubacar Keïta ndlr]. Donc si le régime devait partir, il perdrait son mandat.
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Mais en réalité, c’est aussi insulter un peu l’intelligence des Maliens, parce que, depuis cette année, l’école est devenue finalement, une fabrique de chômeurs, les enseignants sont toujours en grève… La corruption a atteint des niveaux jamais inégalés. Les différents rapports du vérificateur général attestent cela. Il y a beaucoup d’affaires qui traînent au niveau de la justice.
Je prends, par exemple, l’affaire de l’avion présidentiel, la surfacturation du matériel et de l’équipement de l’armée, les avions qui sont cloués au sol… Donc lorsque les populations descendent dans la rue à Bamako, à Sikasso, à Kayes, à Tombouctou, à Ségou et ensuite en France et aux Etats-Unis, pour moi, c’est vraiment insulter une grande partie des Maliens. Et cela, c’est indigne d’un président de l’Assemblée nationale.
Mais comment expliquez-vous que ce mouvement soit dirigé par un chef religieux ?
En fait, il y a la faillite de la classe politique. Au moment des élections législatives, les Maliens avaient estimé que les partis d’opposition allaient, par exemple, former une liste électorale à part et que les partis de la majorité allaient en faire de même. Et finalement, les élections législatives ont été l’occasion d’alliances invraisemblables entre l’opposition et la majorité.
Donc les Maliens ont fini par se résoudre à l’idée que finalement, ils sont tous les mêmes. Et l’imam, dans ce contexte-là, a su, depuis 2009 et à travers le Code des personnes et de la famille, mobiliser autour des questions sociales, mais aussi des questions politiques, en tant qu’acteur qui, pour le moment, n’a pas d’ambition présidentielle, pour dénoncer l’État que les politiques n’ont pas su défendre. Donc si les politiques ont failli, des acteurs comme l’imam deviennent crédibles et arrivent à cristalliser autour d’eux différentes frustrations.
Avec le risque d’une dérive islamiste ?
Je ne le pense pas. Parce que vous savez, le Mali est un pays où 95 % se déclarent de confession musulmane, mais pourtant l’islam malékite est l’islam dominant, donc c’est un islam tolérant, syncrétique, qui s’accommode avec les traditions sociales.
Le président IBK propose un gouvernement d’Union nationale, mais les manifestants n’en veulent pas, les médiateurs de la Cédéao proposent des législatives partielles, mais les manifestants n’en veulent pas… Quelle est la solution, à vos yeux ?
Une des solutions, aujourd’hui, c’est de dissoudre l’Assemblée nationale et de mettre en place une constituante composée de toutes les catégories socioprofessionnelles, c’est aussi de dissoudre la Cour constitutionnelle qui cristallise aussi la tension. Et ensuite, c’est qu’IBK lui-même sorte de la délégation de pouvoir chaque fois qu’il y a un problème, qu’il arrête de nommer un haut représentant pour ceci ou pour cela, qu’il accepte de discuter directement avec le M5 et qu’ils aillent vers une sorte de transition politique, avec lui éventuellement à sa tête, mais avec un gouvernement qui n’est pas forcément désigné par lui et ses proches, mais qui serait un gouvernement de consensus. On pourrait mettre en place un gouvernement, par exemple, avec un Premier ministre de plein pouvoir, et le président IBK pourrait, par exemple, assurer une fonction honorifique jusqu’à la fin de son mandat en 2023.
Visiblement, le M5 est dans une stratégie de longue haleine avec des manifestations à répétition tous les vendredis. Est-ce que cela peut finir par payer ?
Pour moi, cela finira par payer. Parce que, si vous regardez et comparez les chiffres des manifestations du 5 et du 19 juin, le nombre a augmenté et la base s’est élargie. Parce que le 5, par exemple, c’était seulement à Bamako et à Sikasso. Le 19, on avait Tombouctou, Kayes et Ségou. Donc la base commence à s’élargir. Cela peut permettre à la rue de gagner son pari et d’éviter toute récupération par l’armée ou d’autres acteurs politiques.
Vous parliez de l’armée… Est-ce que l’exaspération qui s’exprime dans la rue existe aussi dans les casernes ?
Oui, elle s’exprime dans les casernes, parce qu’il y a beaucoup de militaires qui, à travers des médias sur des réseaux sociaux, font part de leur frustration. Si on prend l’exemple de la police, un des représentants du Syndicat de la police avait rejoint le M5 entre le 5 et le 19 juin. Donc entre-temps, il a été suspendu de ses fonctions temporairement, mais on a vu beaucoup de vidéos de militaires de l’armée malienne qui dénoncent leurs conditions de vie, leurs conditions de travail…
Et aussi, les proches des militaires ont fait beaucoup de manifestations. On se rappelle celle des femmes de militaires, qui avaient barricadé les voies pour empêcher le président IBK de passer. On a vu, comme cela, différentes actions des militaires et de leurs proches, qui montraient leur frustration. Même si l’armée est la grande muette, on sait que beaucoup d’entre eux sont solidaires de toutes les actions qui se passent, même s’ils n’osent pas le dire.
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