Reportage Afrique

Nigeria: Pourquoi les paysans quittent les terres du Borno [1/3]

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Le Borno est l'une des régions agricoles du Nigeria. Cette actuelle saison des pluies est le temps de la culture du riz, du maïs et du sorgho. Mais avec la rivalité accrue entre les deux factions de Boko Haram (l'une dirigée par Abubakar Shekau, et l'autre par Abu Mosab el Barnawi), les fermiers sont parmi des cibles récurrentes d'attaques. Mis en place depuis un an, les équipes d'Agro Rangers sont l'une des réponses des autorités nigérianes pour combattre l'insécurité et les conflits en milieu rural et urbain.

Un enfant dans un camp de réfugiés, au Nigeria, près de Maiduguri, le 4 février 2020 (image d'illustration).
Un enfant dans un camp de réfugiés, au Nigeria, près de Maiduguri, le 4 février 2020 (image d'illustration). Ute Grabowsky/Photothek via Getty Images
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Déployé notamment dans le Borno, ce corps armé se dit bien rôdé aux patrouilles et à la protection des cultivateurs. Les Agro Rangers sont constitués d'agents de la défense civile nigériane, de chasseurs et civils volontaires. Leur présence active facilite chaque jour le retour de centaines paysans déplacés internes vers leur commune ou village d'origine. Mais de nombreux déplacés internes craignent toujours de retourner sur leur champ car les attaques restent imprévisibles à l'extérieur de Maiduguri, la capitale du Borno.

Rencontre avec Talatu Akawu qui vit dans le camp de Bakassi. Elle a quitté ses terres de Gwoza et ne veut pas y retourner...

« Nous avons des terres que mon père nous a partagées, mes frères et sœurs et moi. Mais ma parcelle, j'avais l'habitude de la louer à plusieurs personnes. Quand ils moissonnaient. Ils nous ont donné une part à partir de ce qu'ils avaient planté. Mais j'ai abandonné ce projet. Ma partie de terre, quelle était sa superficie ? Laissez-moi bien réfléchir. Si je me souviens, j'avais 1 000 hectares... »

Talatu Akawu lève à peine la tête de la bassine dans laquelle elle plonge puis frotte son linge. Aucune émotion n'est lisible sur son visage encerclé par un voile bleu turquoise. C'est comme si elle tentait d'effacer de sa mémoire tout ce qui la ramène au début août de l'année 2014 : « Gwoza a été attaqué lundi vers 17 heures. C'est pendant cette période que les insurgés ont bloqué et occupé toute la route et il n'y avait aucun moyen de s'échapper. »

Son mari est porté disparu et n'a pas donné signe de vie depuis ce raid des insurgés. Le piège infernal se referme sur Talatu et une partie de ses enfants : « Boko Haram nous a gardés en captivité pendant six mois. Ils ont menacé puis égorgé des centaines de personnes avec des machettes et des couteaux, tandis que d'autres étaient abattus avec des fusils. Ils nous ont rassemblés et nous ont demandé de regarder pendant qu'ils perpétraient leurs crimes. »

Son fils ainé âgé de 18 ans, et deux de ses frères sont assassinés sous ses yeux. Leurs meurtriers diront qu'ils n'ont pas respecté « les règles instaurées par leur chef spirituel et commandant Abubakar Shekau ».

Pour sauver ses enfants, Talatu quitte Gwoza en 2015. Et depuis, elle vit dans le camp de Bakassi à Maiduguri. Talatu a bien entendu parlé du programme du gouverneur Babagana Umara Zulum de réinstallation des déplacés internes : « Avant d'envisager de rentrer à Gwoza, je veux que les autorités fédérales fournissent suffisamment de matériel aux agences de sécurité. Car ces garçons appartenant à Boko Haram se dissimulent dans les forêts. Et ils sont tellement plus nombreux que les militaires. »

Mais pour le moment Talatu ne se voit pas retourner dans un futur proche dans sa communauté d'origine.

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