Biodiversité et économie: quand la nature s’invite dans les modèles économiques
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Alors que plus de la moitié du PIB mondial dépend directement des services rendus par la nature, la biodiversité s’impose comme un enjeu économique majeur. Pourtant, la science économique, centrée depuis plus d’un siècle sur les échanges entre humains, peine encore à intégrer le vivant dans ses modèles. À l’occasion des Journées de l’économie à Lyon, retour sur un débat qui secoue la discipline.

La biodiversité s’invite dans les débats économiques et politiques. Et pour cause: plus de 50% de la richesse mondiale repose sur les écosystèmes – sols, forêts, océans, pollinisateurs – qui soutiennent la production, l’eau, l’alimentation et la santé. Autrement dit, chaque acteur économique dépend directement de la nature. Mais cette dépendance, paradoxalement, reste invisible dans la plupart des modèles économiques. Depuis plus d’un siècle, la science économique analyse les échanges entre humains — travail, capital, consommation, prix — sans prendre en compte les interactions entre les sociétés et le reste du vivant. Résultat : nos modèles savent piloter des flux monétaires, pas des écosystèmes. Et pendant que la biodiversité s’effondre à un rythme inédit, les économistes reconnaissent qu’ils doivent rattraper un retard théorique et méthodologique considérable.
La forêt française, un laboratoire économique
Pour comprendre comment la nature échappe encore aux comptes nationaux, prenons l’exemple de la forêt française, au cœur d’un récent rapport du Conseil d’analyse économique (CAE). Selon les indicateurs classiques, la filière forêt-bois représente 3,9 milliards d’euros de valeur ajoutée par an. Mais si l’on y ajoute les services rendus gratuitement par les forêts — régulation de l’eau, séquestration du carbone, bien-être et loisirs — la valeur totale grimpe à 11 milliards d’euros, presque trois fois plus. Et la valeur patrimoniale du carbone stocké dans les forêts françaises atteindrait près de 380 milliards d’euros. Ces chiffres illustrent un décalage majeur : ce qui compte écologiquement ne compte pas économiquement.
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Pourtant, la biodiversité influence désormais directement les politiques agricoles, forestières et industrielles. Les entreprises, elles aussi, prennent conscience qu’elles dépendent du vivant. Mais pour une prise en compte cohérente, les politiques publiques doivent être coordonnées : agricole, énergétique, foncière, toutes agissent sur la biodiversité. Un projet de reforestation, par exemple, peut être bénéfique pour le climat, tout en nuisant à la biodiversité si les espèces plantées sont trop homogènes.
De la ressource à l’acteur : vers une économie du vivant
Le véritable changement consiste à considérer la nature non plus comme une ressource, mais comme un acteur économique à part entière. Cela implique de revoir les grandes théories économiques et la formation des économistes : l’économie s’est construite sur l’idée que le marché organise les échanges, mais la nature ne passe pas par le marché.
Il faut donc inventer d’autres institutions, d’autres règles et une autre gouvernance du vivant. C’est tout le sens de la proposition du Conseil d’analyse économique: mettre en place une comptabilité élargie du capital naturel, capable de refléter la véritable richesse écologique des nations. Autrement dit, il ne s’agit plus seulement de sauver la nature par l’économie, mais bien de sauver l’économie par la nature.
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