Chemins d'écriture

Dans le ventre de la vie, avec la romancière Fatou Diome

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Vingt ans après La Préférence nationale, le premier recueil de nouvelles révélant le talent de conteuse hors pair de Fatou Diome, la Franco-Sénégalaise renoue avec l’art de la fiction courte en publiant sa dernière collection de nouvelles. De quoi aimer vivre, paru le 3 mars dernier, regroupe dix récits brefs, bâtis autour des éclopés de la vie et racontés avec un sens d’urgence et de drame. La Strasbourgeoise Fatou Diome est aujourd’hui l’auteure d’une œuvre littéraire majeure, composée d’une dizaine de titres, dont son premier roman, Le Ventre de l’Atlantique, l’un des plus grands succès de librairie africains de ces vingt dernières années.

Fatou Diome est romancière et nouvelliste. Elle est  l'auteure d'une dizaine de titres dont le plus récent est intitulé "De quoi aimer vivre", recueil de de nouvelles publié aux éditions Albin Michel.
Fatou Diome est romancière et nouvelliste. Elle est l'auteure d'une dizaine de titres dont le plus récent est intitulé "De quoi aimer vivre", recueil de de nouvelles publié aux éditions Albin Michel. © DR
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Fatou Diome écrit avec ses tripes. Cela n’empêche toutefois ni sensibilité, ni lucidité, ni nostalgie d'ailleurs. Des qualités que les admirateurs de cette romancière franco-sénégalaise retrouveront, une fois encore, dans les pages de son nouveau livre. De quoi aimer vivre, qui vient de paraître, est un recueil de nouvelles, composé d’une dizaine de textes, à mi-chemin entre réflexions narratives sur la condition humaine et récits autofictionnels. Bâtis autour des personnages d’éclopés de la vie, ces nouvelles racontent des drames intimes, des combats qu’on se livre pour rester dignes, des quêtes d’amours inassouvis. Le volume se termine sur un magnifique portrait que l’auteure consacre à son grand-père maternel, pêcheur dans les eaux profondes du delta du Saloum, en pays sérère.

Avec une nostalgie teintée d’humour, l’auteure, qui est aussi la narratrice, se remémore ses balades en mer sur la pirogue de son grand-père. Le vieil homme l’emmenait à la pêche alors qu’elle n’avait que six ans, n’hésitant pas à lui confier le gouvernail pendant que lui-même hissait le filet hors de l’eau. « Ses yeux posaient sur moi une ouate de sérénité qui apaisait toutes mes craintes », se souvient la petite fille, aujourd’hui devenue grande. « C’est la vie », aimait-il répéter pour dédramatiser les tensions. Ou encore : « La vie, c’est apprendre à avoir le pied marin ». Des phrases que la petite Fatou avait fait siennes, croyant avoir tout compris à la vie de son grand-père, jusqu’au jour où, en plongeant dans Le Vieil homme et la mer d’Hemingway, elle prit tout d’un coup conscience des tourments que l'aïeul avait su si soigneusement cacher derrière son masque d’homme fort et rassurant.  « Parfois, démiurge, un auteur lève un rideau et vous dévoile tout ce que vous ignoriez en croyant connaître un être cher, écrit Fatou Diome. C’est Hemingway qui m’a tout appris du courage, de la volonté, de l’abnégation, de la dignité, de la condition de mon grand-père, pêcheur niodorois ».

Le global et le local

On l’aura compris. Ce portrait du grand-père est aussi une réflexion sur la littérature. Faisant du grand classique des lettres américaines la grille de lecture de « l’héroïsme au quotidien » du vieux pêcheur sérère qui met tous les matins sa vie en danger en haute mer afin de subvenir aux besoins des siens, la romancière nous dit quelque chose d’essentiel sur la littérature, sur son universalité. « Nous sommes dispersés sur le globe, mais la littérature nous tisse les liens », écrit-elle.

C’est dans cette veine du global et du local que s’inscrit l’œuvre de Fatou Diome, dont De quoi aimer vivre est le dixième titre. Avec son œuvre partagée entre romans, recueils de nouvelles et essais, la Franco-Sénégalaise s’est imposée dans le champ littéraire africain en tant qu’écrivaine militante, portant haut et fort des thématiques qui lui sont chères, allant de la migration au métissage, en passant par le racisme, le poids de la tradition en Afrique et la marginalisation des personnes âgées dans des sociétés développées. Dénonçant avec une égale véhémence les maux l’Afrique dont elle est originaire et ceux de l’Europe où elle vit depuis bientôt deux décennies, elle mène tambour battant sa carrière de femme littéraire aussi engagée qu’inventive dans son écriture.  « Je ne sais pas ce qu’est la carrière… , précise l'auteure de De quoi aimer vivreJ’écris les livres, l’un après l’autre, vraiment sans programmer et c’est après-coup que je me rends compte qu’il y a toujours un lien. Un livre annonce toujours le suivant. Je ne l’ai pas voulu comme ça. Ce sont mes émotions et mes réflexions qui se chevillent comme ça. C’est pour moi une petite marche dans la vie cahin-caha. Je ne sais pas où je vais. J’essaie juste d’être là et d’avancer petit à petit. »    

Ténacité

Fatou Diome est née à Niodior, une petite île au large du Sénégal. Fille illégitime née d’amours adolescentes, elle a grandi chez ses grands-parents maternels, qui ont joué le rôle de parents et auxquels elle a souvent rendu hommage dans les pages de ses livres. Son premier recueil de nouvelles leur est dédié, « à Aminata et Saliou Sarr ». Ceux-ci défièrent la société insulaire conservatrice de Niodior, pour pouvoir élever leur petite-fille « bâtarde », le mot est de l’auteur, condamnée à la mort certaine par la tradition sérère. Mais comme ses grands-parents n’avaient pas beaucoup d’argent, l’adolescente ne pouvait compter que sur sa propre ténacité pour apprendre à lire et à écrire. Elle assistait clandestinement à l’école du village dont l’instituteur finira par la prendra en affection. C’est lui qui l’initiera à l’écriture en lui donnant à lire Le Petit Prince, Le Vieil homme et la mer, et plus tard Flaubert, Césaire, Balzac, Hugo, ou encore Yourcenar. 

« Le plaisir de lire, se souvient la romancière, j’ai découvert ça à l’école avec les enseignants. Plus je lisais, plus j’aimais écrire. Et plus j’écrivais, plus je lisais. Moi, j’ai fait des études pour être journaliste ou professeure de français. […] L’écriture, pour moi, c’était mon hobby. Je savais que j’allais écrire tout le temps. Donc, j’écrivais. Je remplissais des cahiers de 100 ou de 200 pages, et je les donnais à ma grand-mère, qui les rangeait dans une malle. Et je lui interdisais de les montrer, parce que j’avais quand même ma pudeur. Je me disais que si les gens voient ce que j’écris, ils me prendraient pour une folle. […] J’ai écrit pendant vingt ans avant de publier mes premiers textes, parce que je ne pensais pas que c’était possible pour moi d’être publiée un jour. »

Bien sûr, c’était possible, surtout quand on est bourré de talents, comme l’est Fatou Diome. En 2001, elle publie son premier recueil de nouvelles, La Préférence nationale, chez Présence Africaine, la célèbre maison de la rue des Écoles à Paris, alma mater de tant d’écrivains africains prestigieux. Entre pathos et humour, ses nouvelles racontent sa venue en France de l’auteure dans les bras d’un coopérant français, le divorce et la dérive qui suivent. En 2003, paraît aux éditions Anne Carrière Le Ventre de l’Atlantique, le roman qui a fait réellement connaître Fatou Diome du grand public.  Ce roman, qui surfe sur les thématiques de l’exil et de l’immigration, est riche en emphases et métaphores saisissantes telles que le ventre océanique du titre où s'accumulent des vies et des rêves.

Une voix à nulle autre pareille

Le Ventre de l’Atlantique s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires et a été traduit en une vingtaine de langues. Pour Fatou Diome, c’est une consécration, celle de son talent, mais aussi celle de sa voix à nulle autre pareille. Au cours des vingt années qui se sont écoulées depuis la parution de ce premier roman, la voix de Fatou Diome a gagné en épaisseur et maturité, comme en témoignent les romans et les autres écrits que celle-ci a fait paraître depuis. Chemin faisant, la voix s’est aussi enrouée quelque peu à cause de l’habitude prise par l’auteure d’écrire seulement la nuit.

« Je ne sais pas, je suis peut-être convoquée par des sorcières ou je ne sais pas, moi, soutient la romancière en guise d'explication. Le soir, il y a quelque chose de… Le soir, je sais qu’après le dîner, il y a une espèce de joie. Mes nouvelles, ma poésie, mes romans, et même Marianne porte plainte, l’essai, j’ai écrit la nuit. C’est comme si je devais avoir la Lune pour témoin. Donc, j’attends la nuit. En fait, la nuit, vous êtes face à vous-même. Vous ne pouvez pas tricher. Et moi, c’est ce que j’aime. Il faut faire face à la vie, les yeux dans les yeux. Et la nuit, c’est là où on va affronter ses démons. Mais c’est là aussi où on va entendre le murmure des anges. »

La vraie vie de Fatou Diome commence à 23 heures quand elle s’installe devant son écran, laissant les anges venir murmurer à ses oreilles. Ils ont pour nom Yandé Codou Sène, Youssou N’Dour, Barbara, Myriam Makeba ou encore Bach. Et la magie qu'est la création littéraire est souvent au rendez-vous.


De quoi aimer vivre, par Fatou Diome. Editions Albin Michel, 2021, 233 pages..

 

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