Auteure reconnue de littérature pour la jeunesse, la Mauricienne Priya Hein livre avec Riambel son premier roman pour adultes. Descendante de travailleurs engagés indiens à Maurice, la romancière raconte ici un récit contemporain de servitude et de cruauté sociale sévissant sur une île qu’on dit « paradisiaque ». Riambel a été primé par le Goncourt mauricien pour son écriture tout en « pudeur mêlée d’indignation ».

« C’est dans le village de pêcheurs, enfoui dans la région la plus méridionale de l’île que je suis née et que j’ai passé les quinze années de ma vie. Mon village s’appelle Riambel : Ri-Am-Bel. Ri Am Bel… Il a des consonances chantantes – quelque chose qui suggère l’été et le rire. Une fois, j’ai demandé à maman si le nom de notre village vient de rire en belle. Rire de bon cœur. Sans aucune retenue. Rire ? Qu’est-ce que j’en sais ? Il n’y a pas de quoi rire dans cette vie – si ? » Ainsi parle Noémie, l’héroïne de Riambel. Riambel est le premier roman de la romancière mauricienne montante Priya Hein.
Primé l’an dernier par le prestigieux prix mauricien Jean Fanchette 2021, avec un jury présidé par Jean-Marie Gustave Le Clézio, Riambel raconte l’envers du décor de l’île paradisiaque. Prisée par les touristes occidentaux pour ses plages de sable fin et sa mer turquoise, l’île n’a cependant rien de paradisiaque pour le petit peuple mauricien, descendant métis des anciens esclaves et qui vivotent, en marge de palaces cinq étoiles et de luxueux centres commerciaux. Ils sont les véritables protagonistes du roman de Hein.
Noémie, Marie et autres Tonton Antonio et Sebastien
Les protagonistes de Riambel ont pour nom Noémie, Marie et autres Tonton Antonio et Sebastien… Noémie et sa sœur Marie ont grandi dans le bidonville d’Africa Town où sont parqués dans des maisons en tôle toutes les misères du monde. Une route sépare le bidonville du domaine des De Grandbourg, riches blancs, descendants des familles sucrières qui faisaient la loi à Maurice au cours de sa longue période coloniale. La maman de Noémie est domestique chez les De Grandbourg. Sa fille aînée, Marie, y a travaillé aussi avant de se faire virer comme un chien sur de fausses allégations. Elle meurt de frustration et d’overdose. Noémie a à peine seize ans quand elle est amenée à travailler à son tour chez les blancs, où elle sera victime au quotidien de racisme et de moult humiliations.
« Noémie est née du mauvais côté de la route et son destin est prédéfini, explique l’auteure. C’est une histoire qui se répète génération après génération. Noémie, elle, est intelligente, pleine de vie, elle a envie d’apprendre. Mais malheureusement, ça ne va pas bien finir. C’est la conséquence de la colonisation qui transperce des générations, alors que Noémie rêvait d’un autre destin. »
Le rêve de l’adolescente ne résistera pas à la dureté de la réalité et à la cruauté des hommes. C’est au lent fracassement du rêve de Noémie que nous assistons dans les pages de Riambel. L’auteure se montre particulièrement habile pour raconter la dérive, la fuite en avant. « Parfois, quand mon regard se plonge dans l’océan, soupire son héroïne, je voudrais nager aussi loin que possible jusqu’à l’horizon. » Une phrase suffit pour dire l’appel du large.
Descendante elle-même des travailleurs engagés indiens dans les plantations sucrières de Maurice, la romancière Priya Hein comprend bien l’aspiration à la liberté de son héroïne. Héritière du goût de l’aventure de ses ancêtres, elle a quitté Maurice dès son plus jeune âge et a vécu une vingtaine d’années en Europe. Elle partage aujourd’hui sa vie entre son île natale et l’Allemagne.
« La littérature fut mon autre planche de salut », confie Priya Hein. Elle est venue à l’écriture en créant des albums illustrés pour le jeune public. Elle aime raconter comment, après avoir cherché en vain un livre qui parlait du dodo pour sa fille, elle s’est mise à écrire elle-même une histoire avec pour protagoniste un petit dodo surnommé Feno. Comme cette histoire a fait beaucoup rire ses enfants, elle l’a envoyée à un éditeur jeunesse, qui l’a publiée.
George Floyd et Black Lives Matter
Priya Hein est aujourd’hui une auteure pour la jeunesse connue, avec une dizaine de titres en anglais, français, créole et allemand. Riambel, son premier roman, est né d’un sentiment d’indignation profond provoqué par l’assassinat de George Floyd en mai 2020. Enthousiasmée par l’avènement du mouvement Black Lives Matter, elle voulait prendre la parole pour raconter les incidents racistes qu’elle avait elle-même subis, sans réussir à se faire entendre.
« J’étais en Allemagne, se souvient-elle. J’ai dit ce que j’avais à dire, mais les gens ne voulaient pas entendre. On me décourageait de parler de racisme. On m’a fait comprendre que comme j’appartenais à une minorité ethnique, j’avais à me conformer. C’est là que j’ai eu l’idée que si je ne pouvais pas en parler, je pourrais l’écrire. C’était vraiment important pour moi d’écrire cette histoire du point de vue des descendants d’anciens esclaves et justement dans une perspective non conformiste. J’ai vécu pendant plus de vingt ans en Allemagne et c’est là que j’ai écrit Riambel. »
« Plus j’ai mal, mieux j’écris », aime à répéter Priya Hein. La grande force de cette jeune romancière est d’avoir su transformer les maux de l’âme en ressorts d’une écriture qui déborde l’histoire personnelle pour toucher de près le social et l’universel.
Riambel, par Priya Hein. Traduit de l’anglais par Haddiayyah Tegally. Éditions Globe, 208 pages, 22 euros.
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