Entre témoignage et confession, avec la Franco-Marocaine Habiba Benhayoune
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Témoignage ? Confessions ? Autofiction ? Difficile de situer Cœur berbère, ce deuxième roman de la Franco-Marocaine Habiba Benhayoune. Fille de pêcheur berbère, l’auteure revient sur son enfance marquée par la fascination pour la mer et les bateaux. Le roman raconte aussi, avec une sincérité désarmante, le drame familial à l’ombre duquel l’auteure a grandi. Diplômée en psychologue de travail et amoureuse de l’écriture, elle se sert des « m-o-t-s » pour analyser les « m-a-u-x » de sa vie.

« Aucun auteur ne peut nier que dans chacune de ses œuvres, il y a une part d’autobiographique. Selon moi, la création prend racine dans la douleur et le bonheur vécus. Il y a les deux. Je jongle parfois un peu de fiction, mais la majorité du livre parle d’une histoire vraie. Flaubert disait « écrire, c’est une façon d’exister ». Donc, j’ai écrit pour dire, pour raconter, pour partager, mais aussi pour donner sens à mon existence. Ce livre « Cœur berbère » est écrit par la femme que je suis pour l’amour d’une mère, Yemma. « Yemma » veut dire « maman » en maghrébin. … Cette histoire avait commencé il y a longtemps… »
Ainsi parlait la romancière Franco-Marocaine Habiba Benhayaoune présentant à l’antenne de RFI son nouveau roman paru cet automne aux éditions Ardemment. L’auteure est issue de la communauté berbère et son roman, Cœur berbère, largement autobiographique, livre un récit d’enfance poignant où cohabitent tendresse et violences, séparation et retrouvailles, heurs et malheurs sur fond de célébration de l’identité berbère. On ne sort pas indemne de ces pages où la narration d’un drame familial traumatisant se double d’une quête identitaire et féministe.
Martyre au quotidien
Comme l’annonce l’auteure, l’histoire que raconte ce roman a commencé il y a longtemps, à l’époque où les Benhayoune vivaient encore en Algérie, alors que ce pays était en proie à une guerre sanglante pour l’indépendance. Cette histoire est d’abord celle de Yemma, de son martyre au quotidien sous les coups de son mari, celle aussi de son amour débordant pour ses enfants qui les a protégés de la violence du père, mais aussi celle de l’histoire.
Si les premières pages racontent les traumatismes de la guerre, l’essentiel du récit se déroule en marge de l’Histoire à l’œuvre, à savoir la guerre et l’indépendance. Il était une fois une famille de marins-pêcheurs berbères qui vivaient heureux, d’abord à Mers-el-Kébir, puis à Coralès, au cœur d’une nature majestueuse, qui domine l’océan… Jusqu’au jour où la narratrice découvre que derrière le bonheur et la beauté, se cachait « une ombre noire » à laquelle elle ne savait pas encore donner un nom. Cette histoire, faite de fascination et de révélations douloureuses, est racontée à travers les yeux d’Aouïcha, la fille de Yemma, témoin privilégiée des drames de la famille et double de l’auteure.
Les plus belles pages du livre sont celles qui donnent à voir la magnificence de la nature, la luminosité du paysage lorsque les rayons du soleil se déversent dans « la mer frissonnante ». À Coralès, du haut de sa maison d’enfance, au bord de la mer, loin des habitations du centre-ville, Aouïcha ne se lasse pas de contempler « la ligne d’horizon entre le ciel et la mer quand les vagues apaisées s’avancent à pas de loups pour flirter avec le sable et l’arroser de leur écume laiteuse », raconte l’auteure. C’est une enfance douce et légère dont les meilleurs moments étaient peut-être lorsqu’au petit matin, la petite fille accompagnait avec fierté son père à la pêche, au large de Coralès, se confrontant aux éléments.
Le sentiment de bonheur et d’exaltation qu’exhalent ces pages contraste avec la mélancolie, la peur qui s’emparent de la jeune fille pendant la nuit lorsque les démons sont de sortie et la violence du père ivre-mort s’abat sur le corps fragile de son épouse, faisant d’elle « une femme sans défense », « une femme battue ». Ce déferlement de violence dévaste la narratrice, la laisse perplexe. Elle s’interroge sur la double personnalité de son père, « ce héros des mers ».
« Cette ambivalence, je n’arrivais pas à maîtriser, se souvient l’auteure. Même plus tard, je n’arrivais pas à comprendre. Je pense que c’était un homme qui a dû vivre des aventures pas faciles puisqu’il est parti très tôt en Espagne jouer au petit soldat, alors qu’il n’était pas encore majeur. Il y avait un mal-être chez lui. Il y avait quelque chose qu’il n’arrivait pas à exprimer et donc il se noyait dans l’alcool. Est-ce que c’est la peur ? Est-ce que c’est le déni ? Je n’ai jamais réussi à savoir à ce moment-là. C’est pourquoi j’ai fait ce livre. J’ai mis en fait des mots sur le mal. J’ai mieux compris. »
Le murmure des vagues
Le passage de l’adolescence à la maturité, de l’incompréhension à la compréhension et à la possibilité du pardon, tel est sans doute le véritable enjeu de ce roman. Pour l’auteure Habiba Benhayoune, arrivée en France à l’âge de sept ans, ce passage à la compréhension passe par l’école de la République, à Perpignan, où elle a appris à lire et à écrire pour la première fois.
Comment êtes-vous venue à l’écriture, Habiba Benhayoune ?
« En fait, ce qui m’a incité à écrire, c’est tout un parcours, explique la romancière en guise de réponse. Il y a eu l’enfance, il y a ce parcours scolaire en France et l’amour des mots. À l’école primaire, je composais des poèmes parce que j’avais une institutrice qui m’avait initiée à la poésie et donné envie de créer des vers. Les rimes sonnaient bien et elles me faisaient rêver comme le murmure des vagues. J’ai laissé ensuite libre cours aux mots. Ces mots, je leur trouvais une saveur unique, délicieuse, car ils me réconfortaient. Les mots, pour moi, m’aident à soigner des maux. On peut tout faire. Les mots sont une force pour moi. L’écriture a toujours été pour moi une espace pour me ressourcer, me retrouver avec moi-même. »
Cœur berbère témoigne de ce goût immodéré pour les mots et pour l’écriture, qui conduit la narratrice/auteure à revisiter son passé et à remonter à l’origine de son traumatisme d’enfance, où s’emmêlent la lumière éblouissante de la Méditerranée et les ténèbres du cœur humain.
« J’ai écrit ce livre, explique-t-elle, pour demander pardon à ma mère et me libérer de ma culpabilité parce que je contemplais, enfant, pendant qu’elle croulait sous les coups de godasse. Et je l’ai écrit aussi pour partager avec toutes les femmes victimes de violence avec leurs enfants qui assistent à cette violence malgré eux et qui subiront à leur tour des traumatismes certains. On en garde toujours. Les blessures du passé ne cicatrisent pas totalement. »
Habiba Benhayoune en sait quelque chose. Son roman en témoigne puissamment, avec une honnêteté et une lucidité cathartiques.
► Cœur berbère, par Habiba Benhayoune. Éditions Ardemment, 210 pages, 19 euros.
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