Chemins d'écriture

Les deux amours du Malgache Jean-Joseph Rabearivelo (1/2)

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Entre le français et sa langue malgache, son cœur a longtemps balancé. Il a finalement écrit dans les deux langues. Immense écrivain du début du siècle dernier, Rabearivelo était poète, dramaturge, romancier, théoricien de la littérature. Mais aussi profondément amoureux de la vie et déçu de ne pas avoir été reconnu à sa juste valeur par l’administration coloniale. Dans une biographie, érudite et passionnante, la chercheuse Claire Riffard revient sur les heurs et malheurs du barde malgache.  

Fondateur de la littérature moderne malgache, Jean-Joseph Rabearivelo était poète, romancier et dramaturge, mais aussi essayiste et théoricien de la littérature.
Fondateur de la littérature moderne malgache, Jean-Joseph Rabearivelo était poète, romancier et dramaturge, mais aussi essayiste et théoricien de la littérature. © Famille Rabearivelo
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« En 2011, un journal malgache titrait encore sur Rabearivelo avec ce titre : Sex, drugs and rock’n’roll. Il ne gardait de la trajectoire de ce poète que les aspects les plus sulfureux : sa vie nocturne, interlope, sa tentation de l’opium, son côté totalement décalé. L’image de Rabearivelo a été majoritairement celle d’un intellectuel à la fois brillant et provocateur, fasciné par les extrêmes, ce qui empêche peut-être de le lire en profondeur. Dans les collèges, dans les lycées malgaches, on ne connaît de sa poésie souvent que quelques textes. »

Ainsi parle Claire Riffard, chercheuse au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, et spécialiste de littératures d’Afrique et de Madagascar. Elle a co-dirigé il y a quelques années l’édition des œuvres complètes de l’écrivain malgache Jean-Joseph Rabearivelo, publiées dans la collection littéraire du CNRS. Faisant suite à ce travail de longue haleine sur les textes, la chercheuse est revenue cet automne avec une biographie qu’elle a consacrée à cet immense auteur.

Légende noire du barde malgache

Rabearivelo est un véritable monument des lettres malgaches. Il était à la fois poète, romancier, dramaturge, mais aussi essayiste et théoricien de la littérature. Né en 1903, une dizaine d’années après la conquête de la Grande Île par la France, l’homme appartient à la première génération coloniale. Si sa quête poétique ambitieuse a fait de lui le « prince des poètes malgaches », selon le mot de Senghor, l’histoire littéraire retient de lui son image d’artiste maudit, dont la légende est souvent réduite à son suicide tragique à l’âge précoce de 34 ans. Or, fondateur de la littérature malgache moderne, Jean-Joseph Rabearivelo est bien plus que sa légende noire. Tel semble être le propos sous-jacent de la biographie que la chercheuse Claire Riffard a consacré au barde malgache.

« La biographie a surtout été la quête d’un visage plus complexe de l’écrivain », soutient la biographe. Et d’ajouter : « Le XXe siècle a été fasciné par les derniers moments de Rabearivelo qui se suicide au cyanure à 34 ans. Mais, en réalité, derrière la violence de cette mort, il y a l’intensité d’une vie. Il y a des amitiés, il y a une ville qu’il a intensément habitée. Il y a des milieux littéraires qu’il a fréquentés aussi bien français que malgaches. À travers les premières enquêtes que nous avions menées, la figure du poète maudit avait été très prégnante. C’est une figure qui a été construite par l’écrivain, qui s’était construit une image à la Baudelaire. Et il me semblait qu’il était important d’aller voir derrière cette posture et de retrouver la vie. »

Sous la légende, la vie…

La vie de Rabearivelo s’est déroulée dans le Tananarive colonial en pleine mutation, où le poète a grandi, lutté, souffert, fait les 400 coups et s’est affirmé par la seule puissance de son génie créatif et poétique. Selon Claire Riffard, ce fut une vie riche en amitiés, aventures galantes, moult allégeances, et autres combats pour la survie.

Rabearivelo est né dans une famille aristocratique malgache qui a donné au pays des figures célèbres, mais qui n’a pas su résister au déclin et déclassement social, accéléré par la colonisation. Le futur poète n’a pas connu son père et a été élevé par sa famille maternelle. Sa mère n’avait pas beaucoup de moyens : elle gagnait sa vie comme dentelière au village. C’est à l’initiative d’une tante, attentive à l’éducation des jeunes de la famille, qu’il a été inscrit dès l’âge de 5 ans dans une école missionnaire catholique où s’est effectuée la première formation intellectuelle du futur poète.

« En 1913, il va au collège Saint-Michel qui était un collège jésuite, raconte Claire Riffard. Et là, il se plonge dans la poésie française. Il se prend de passion pour les poètes français de son temps, ce qui était autorisé, mais aussi ce qui était interdit, comme Baudelaire. La légende voudrait qu’il ait été exclu du collège Saint-Michel pour avoir lu Baudelaire. Je ne sais pas si c’est vrai, mais en tout cas il ne cessera à l’adolescence de partager à la fois ses lectures avec des amis poètes et aussi ses premiers vers. On le décrit volontiers fumant ses cigarettes et lisant ses poèmes avec ses amis sur les hauteurs de Tananarive. Et c’est une période de joie, de joie du mot, de joie du texte, de joie de la littérature. »

Le jeune Rabearivelo avait révéré l’école à cause de l’ouverture qu’elle lui avait procuré sur d’autres mondes, d’autres cultures, d’autres sensibilités. Il a 13 ans quand il est renvoyé de son collège, mais il continuera de se cultiver, dévorant les livres qui lui tombaient sous les mains, tout en exerçant de petits métiers pour subvenir à ses besoins essentiels. Il sera successivement garçon de course, saute-ruisseau, gratte-papier, dessinateur en dentelles. Il travaille parallèlement au perfectionnement de sa connaissance de la langue française, en lisant et relisant les classiques de la littérature française du XIXe et du XXe siècles. Il apprend aussi l’anglais et l’espagnol et publie, à l’âge de 15 ans, ses premiers poèmes en malgache, dans les pages culturelles d’une revue réservée aux informations agricoles !

« Un lettré de couleur »

Il faudra attendre les années 1920 pour voir celui qui se définit désormais comme « un lettré de couleur, fou de la langue française et brûlant de garder sa personnalité », publier ses premiers écrits dans la langue de Ronsard et Baudelaire qu’il admire tant. C’est le début d’une carrière littéraire originale pour l’époque, car elle se place d’emblée sous le signe du métissage et du bilinguisme. «  Rabearivelo a toujours écrit dans les deux langues depuis les débuts, confirme pour sa part sa biographe. Il n’a jamais sacrifié une langue à l’autre. Il disait que ces deux langues étaient finalement ses deux amours. Il y avait cette langue qui parle à l’âme, le français, et cette langue qui murmure au cœur, la langue malgache. »

Dans la deuxième partie de cette chronique à paraître samedi prochain, la suite de l’itinéraire peu commune du barde malgache, résolument campée à la croisée des mondes et des langues.

Jean-Joseph Rabearivelo, une biographie, par Claire Riffard. Collection « Planète libre », CNRS éditions. 366 pages, 28 euros.

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