Chemins d'écriture

Dans la compagnie des damnés et des bénis de Lagos, avec Ayobami Adebayo

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Après s’être fait connaître en publiant un premier roman délicieusement sentimental et à succès, la Nigériane Ayobami Adebayo livre avec Au temps des damnés et des bénis son second roman, très politique. Sur fond de corruption, de violences électorales et de lutte des classes dans le Nigeria contemporain, ce nouvel opus, sous la plume d’une des auteures nigérianes prometteuses, raconte l’entrée mouvementée dans la vie adulte de deux jeunes aux destins diamétralement opposés. Mais la vie s’arrangera pour les faire rencontrer. Entretien.

Romancière nigériane, Ayobami Adebayo est auteure de deux romans. Son second roman Au temps des damnés et des bénis vient de paraître en traduction française aux éditions Charleston.
Romancière nigériane, Ayobami Adebayo est auteure de deux romans. Son second roman Au temps des damnés et des bénis vient de paraître en traduction française aux éditions Charleston. © Emmanuel Iduma
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Comment en êtes-vous venue à l’écriture, Ayobami Adebayo ?

J’écris depuis l’adolescence. À l’université, j’ai eu un professeur qui m’a beaucoup encouragé à écrire. Comme ce professeur n’était jamais avare de son temps, je lui soumettais mes écrits. Il soulignait particulièrement les expressions stéréotypées et me conseillait de chercher des formules originales, des tournures novatrices. Je faisais des études d’anglais. Cette expérience de quasi-immersion dans des littératures anglophones provenant de tous les coins du monde fut aussi très formatrice pour moi. J’ai compris qu’il ne suffisait pas de savoir raconter une histoire, mais comment la raconter était également important, sinon plus.

Il semblerait que votre maman, qui était universitaire, vous disait « puisque tu veux devenir écrivain, il faut que tu lises les livres de la Heinemann African Writers’ Series ». Avez-vous lu tous les 350 titres de la collection ?

Non, bien sûr, je n’ai pas lu tous les titres, mais j’ai lu tous les romans qui se trouvaient à la bibliothèque universitaire de ma mère. En tant que professeur, elle avait droit de les emprunter et elle me les passait. C’est comme ça que j’ai découvert les grands classiques de la littérature africaine. Ces romans ont beaucoup compté pour moi. Tout d’abord, parce qu’ils rendaient plausibles mon aspiration à devenir écrivain. Je me disais qu’il y avait un public pour les récits sur le Nigeria, racontés dans une perspective nigériane. Je crois bien que c’est à la suite de la lecture des titres de cette série que j’ai vraiment commencé à réfléchir aux thématiques autour desquelles j’ai bâti mes romans, des thématiques puisées dans le Nigeria contemporain.

Que raconte ce deuxième roman ?

C’est l’histoire de deux familles. À travers leurs histoires parallèles, j’essaie de raconter la ville où elles habitent, la société nigériane contemporaine où la lutte des classes bat son plein. J’avais envie d’explorer les conséquences des inégalités sociales sur la vie des protagonistes de mon roman, sur leurs familles aussi. Les deux familles dont le roman retrace l’évolution constituent le prisme à travers lequel j’essaie de donner à voir l’état de la nation nigériane. À ces considérations, viennent s’ajouter une histoire d’amour et de deuil.

Il est question ici aussi de la corruption, des rapports homme-femme dans le Nigeria aujourd’hui, de violences ethniques, sociales. C’est un roman très politique, non ?

Vous savez, je pense à ce roman depuis très longtemps. Son véritable thème est, à mon avis, la promotion sociale. À travers le vécu de mes personnages, j’ai essayé de comprendre si aujourd’hui, au Nigeria, l’ascenseur social marche, surtout en particulier pour des hommes et des femmes qui ont grandi dans la misère. J’avais à cœur aussi de raconter comment la structure sociopolitique immuable du pays perpétue la hiérarchie des classes. Le cas d’Eniola, issu d’une famille déclassée, illustre bien, me semble-t-il, comment les choix politiques impactent les citoyens. Ce qui m’intéressait en particulier, c’était de montrer les mille et une conséquences de la corruption sur la vie des personnages.

Chacune des quatre parties de votre livre est nommée d’après le titre d’un des romans nigérians récents, sous la plume de quelques-uns des auteurs de votre génération. Vous semblez vouloir constituer un réseau intertextuel d’univers et d’imaginaires ?  

Oui, absolument. En renvoyant à travers les titres aux livres d’auteurs contemporains, je voulais que le lecteur puisse aborder mon roman en ayant à l’esprit ces autres imaginaires. Je me suis inspirée des visions de mes contemporains car elles semblent dire quelque chose de fondamental sur le Nigeria comme pays, sur ce que cela veut dire être Nigérian aujourd’hui. Ajoutons que j’ai conçu ce roman comme une sorte d’hommage à l’expérience même de la lecture des œuvres littéraires, lecture comme ouverture au monde. A Spell of Good Things est une réflexion sur le Nigeria, mais loin d’être une réflexion isolée, elle se déploie dans la continuité des œuvres littéraires de son temps.

Au temps des damnés et des bénis (A Spell of Good Things), d’Ayobami Adebayo, traduit de l’anglais par Virginie Buhl, Charleston, 512 p., 22,90 €, numérique 13 €.

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