Chemins d'écriture

L’Histoire coloniale revisitée, avec le Congolais Wilfried N’Sondé

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Retour au royaume du Kongo avec le nouvel opus de Wilfried N’Sondé. Au cœur de ce roman historique, la saga d’une reine-prophétesse qui a réellement vécu et s’était élevée contre la puissance portugaise pour libérer son peuple du joug colonial. Lauréat de nombreux prix littéraires, le Franco-Congolais N’Sondé signe avec ce huitième roman un récit magistral, entre fiction historique et épopée.

Wilfried N'Sondé est Congolais, et l'auteur de huit romans. Son dernier roman La Reine aux yeux de lune vient de paraître aux éditions Robert Laffont.
Wilfried N'Sondé est Congolais, et l'auteur de huit romans. Son dernier roman La Reine aux yeux de lune vient de paraître aux éditions Robert Laffont. © Jean-Marie Reffle
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« Moi, c’est dans la littérature que j’ai trouvé qui j’étais », aime à rappeler le Franco-Congolais Wilfried N’Sondé. Grand lecteur devant l’Éternel, l’homme est lui-même écrivain, romancier, conteur subtil des heurs et malheurs des turbulences du Congo-Brazzaville où il est né et de sa propre quête identitaire à travers une Europe prospère et paradoxale où sa famille s’est installée il y a plus d’un demi-siècle.

Au micro de RFI, l’écrivain a tenu à préciser le sens de son affirmation, expliquant comment la découverte de la littérature à l’adolescence lui a permis de se structurer, canalisant sa créativité et abreuvant sa soif d’idéal et de passions.   « Cette phrase fait référence à mon adolescence. Comme beaucoup, j’ai eu une adolescence tourmentée. J’étais très mal dans mon monde. Je ne m’y retrouvais pas. Je ne comprenais pas ce monde et j’étais convaincu que ce monde ne me comprenait pas. Et c’est dans la lecture des littératures romantiques – poésie, romans – que j’ai trouvé une manière d’envisager le monde qui me correspondait, avec beaucoup de passions, avec le ressenti émotionnel mis au centre de tout. Et je m’y retrouvais quand je lisais Baudelaire, quand je lisais Chateaubriand, Goethe. Je me retrouvais dans cette humanité qui mettait l’émotion avant tout. »

Sainte ou sorcière

Il est permis de penser que c’est cette quête de l’idéalisme et le goût pour la passion romantique qui ont conduit Wilfried N’Sondé à consacrer son nouvel opus à la Kongolaise Kimpa Vita dont le nom est associé au romantisme révolutionnaire africain. Le roman raconte la vie et la lutte anticoloniale de cette femme au destin exceptionnel, devenue une prophétesse dans son pays avant de finir, à 24 ans, sur le bûcher, où elle fut brûlée vive sous l’instigation des missionnaires européens.

Né à 1968, à Brazzaville (Congo), auteur de huit romans, Wilfried N’Sondé s’intéresse ainsi à l’histoire de son pays. Dans l’un de ses précédents récits intitulé Un océan, deux mers, trois continents (2018), il avait retracé l’histoire passionnante d’un prêtre kongolais du XVIIe siècle, nommé ambassadeur au Vatican, par le roi de Bakongo. Nsaku Ne Vunda, rebaptisé Dom Antonio de Manuel par ses pairs ecclésiatiques, s’était embarqué  dans un bateau négrier pour aller sensibiliser le pape au drame de l’esclavage.  « J’ai une vraie fascination pour l’histoire du petit royaume du Kongo, qui mérite d’être connue parce que c’est une expérience humaine spéciale, mais qui fait partie de l’universel. C’est pour ça j’aime écrire des romans sur des figures de l’histoire du royaume du Kongo. Kimpa Vita était une figure que je connaissais depuis toujours. C’est quand même quelqu’un qui est très présent en Afrique centrale, à Brazzaville, à Kinshasa… »

L’histoire de Kimpa Vita

La vie et la mort de Kimpa Vita que raconte le huitième roman de N’Sondé, ont été scrupuleusement documentées par des ecclésiastiques portugais et italiens. Au dire de l’auteur, c’est dans cette documentation précieuse qu’il a puisé l’essentiel de son matériau, mais aussi dans la mémoire collective où le souvenir de la « reine aux yeux de lune » reste toujours vivace.

Le roman s’ouvre sur la légende de la naissance quasi-mystique de sa protagoniste, venue au monde au cœur de la brousse. Comme sa sœur jumelle, morte-née, Kimpa a failli mourir au moment de sa naissance, mais fut sauvée in extremis par la sage-femme, qui la ramena à la vie en la plongeant dans les eaux claires de la rivière Mpozo. Cette origine quasi miraculeuse est racontée avec lyrisme et ce qu’il faut de tension et de suspense. Ces pages bruissent aussi des prémonitions des luttes à venir, des guerres, des trahisons que raconte le roman de Wilfried N’Sondé.

Kimpa Vita, littéralement « la jumelle née de la guerre », naît dans un pays dominé. Aux temps de sa grandeur, entre le XVe et le XVIIe siècles, le royaume du Kongo s’étendait sur un immense territoire, ses frontières allant de l’Angola au Gabon actuels, en passant par les deux Congo. La fillette grandit dans un royaume qui avait perdu ses fastes depuis belle lurette. Sous occupation portugaise depuis la célèbre bataille d’Ambulia en 1665, le pays se déchire entre des seigneurs de guerre rivaux, instrumentalisés par les puissances coloniales européennes et l’Église omniprésente.

Influencée par les histoires que lui raconte sa nourrice et ses visions mystiques, Kimpa Vita devient prophétesse et milite pour l’émancipation de son peuple, en le réunissant sous l’égide de son roi légitime. Auréolée de sa réputation de sainte vierge, capable de communiquer avec le monde invisible, elle mobilise des foules et incarne une figure de résistance populaire à la colonisation. Son prestige grandissant inquiète les colons et l’Église qui la qualifient de sorcière et la font condamner au bûcher. Ils la font condamner au bûcher. « Elle ressemble à Jeanne d’Arc, morte sur le bûcher, avec un corpus mystique très fort. À cela près que Kimpa Vita n’était pas une combattante, elle était fondamentalement pacifiste. Mais c’est une figure universelle car elle avait d’emblée une ambition de réconciliation entre Européens et Africains, c’est encore d’actualité. C’est une femme qui a fait le choix de disposer librement de son corps et de son cœur : elle l’a payé cher. C’est aussi l’histoire d’une jeune femme qui a tenu à résister à des pouvoirs beaucoup plus forts que les siens, mais elle avait cette conviction propre aux femmes et  aux hommes de bonne volonté qu’on retrouve un peu partout. »

L’intériorité du personnage

Roman politique, roman féministe, La Reine aux yeux de lune se lit comme une épopée. Une épopée qui ne dédaigne pas l’analyse psychologique, comme dans les pages du roman qui mettent en scène une protagoniste déchirée entre les exigences de son devoir de prêtresse et les appels charnels de l’amour. « La Reine aux yeux de lune est inspiré de Kimpa Vita, un personnage qui a réellement existé. Mais ce n’est pas une biographie de Kimpa Vita, souligne l'auteur. Je m’inspire de Kimpa Vita. Les événements que je relate dans le roman se sont vraiment produits. Je n’invente rien si ce n’est la subjectivité de Kimpa Vita, son intériorité. J’adore le roman pour ça. C’est une plongée dans l’intériorité du personnage. C’est le cœur de mon travail de romancier. »

En particulier dans ce roman où, en mettant l’accent sur les conflits intimes de son personnage, Wilfried N’Sondé a su humaniser son héroïne, trop longtemps enfermée dans sa réputation marmoréenne de « Jeanne d’Arc africaine ».


La reine aux yeux de lune, par Wilfried N’Sondé. Éditions Robert Laffont, 232 pages, 20 euros.

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