Interrogations sur le devenir d’une génération perdue, avec le Français Walid Hajar Rachedi
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Ils s’appellent Salem, Lisa, Ronnie, Céline et Matthieu. Ils sont les protagonistes de Nos destins sont liés, le nouveau roman de Walid Hazar Rachedi, consacré à la génération des années 1980. Une génération perdue dont ce roman livre un tableau polyphonique et exigeant à travers le portrait tout en finesse et empathie de cinq protagonistes représentatifs de la France contemporaine.

« J’ai vécu mille vies », aime à répéter Walid Hazar Rachedi. Né en France de parents d’origine algérienne, ce jeune quarantenaire a grandi dans la banlieue parisienne. Diplômé d’informatique et d’une école de commerce, il a parcouru le monde, exerçant sa profession d’informaticien, d’enseignant ou de journaliste. Ses errances l'ont conduit des États-Unis au Portugal où il vit désormais, en passant par le Brésil, le Mexique et Cuba. Mordu de la littérature, il participe depuis une quinzaine d'années à des revues et à des ateliers d'écriture.
Rachedi est aujourd'hui l’auteur de deux romans, dont le premier, Qu’est-ce que j’irais faire au paradis ?, a été finaliste du Prix Goncourt du premier roman. Ses récits sont résolument cosmopolites, puisant leur matériau dans l’expérience personnelle de traversées des pays et des univers ainsi que dans l’actualité brûlante de la guerre des civilisations. Son premier roman se termine sur un attentat sanglant frappant des passagers d’Eurostar à la gare du Nord. Conteur des dysfonctionnements des sociétés modernes, l’écrivain se définit comme « raconteur des mondes ». Des mondes lointains et intérieurs dans le premier roman, alors que Nos destins sont liés, son second roman paru cet automne, met en scène, sur fond des heurs et malheurs de la France contemporaine, une galaxie de personnages engagés dans une quête identitaire aussi personnelle que collective.
La « world-literature »
C’est par la lecture des classiques français que Rachedi est venu à la littérature et à l’écriture. « Enfant unique, j’avais trouvé dans la lecture une forme de refuge », se souvient le romancier. Il se souvient aussi de l'impatience fiévreuse qui s'emparait de lui les samedis matin, en attendant que sa maman l'emmène à la bibliothèque municipale où des mondes imaginaires, plus fascinants les uns que les autres, s'amoncelaient sur des étagères passablement poussiéreuses.
Le passage de la lecture à l’écriture sera plus compliqué, aux dires de l’auteur, car il avait du mal à trouver ses modèles parmi les écritures françaises contemporaines. La « world-literature » à l’anglaise sera sa porte de salut.
« Au début des années 2000, raconte Rachedi, quand j’ai commencé à écrire, dans la littérature française contemporaine, ce qu’on voyait alors, c'étaient souvent des romans auto-centrés, beaucoup d’autofiction. C’étaient toujours des romans qui manquaient un peu de souffle, en tout cas à mon goût. En fait, je n’arrivais pas à trouver quelque chose qui ressemblait à la littérature que j’avais envie d’écrire. Et tout d’un coup, quand j’ai lu ' Sourire de loup ' de Zadie Smith, qui raconte le Londres multiculturel des années 2000, avec à la fois la petite et la grande histoire, plein d’humour, quelque chose de très cosmopolite et en même temps intelligent et drôle, je me suis dit en fait, c’est ça la littérature, c’est à ça que ça doit ressembler. Et finalement, c’est en continuité aussi des grands textes de littérature française du XIXe siècle qui avaient l’idée de décrire des mondes. Et récemment, je me suis rendu compte que Zadie Smith était finalement aussi dans une sorte de filiation avec Salman Rushdie. Et moi, je m’appelle Walid Hajar Rachedi. Donc finalement, la boucle est bouclée. »
Zadie Smith, Salman Rushdie, dont l’écrivain se réclame, sont les pionniers de la littérature moderne qui ont fait entrer les histoires lointaines et leurs protagonistes dans la tradition romanesque, pas en tant que personnages exotiques, mais des hommes et femmes de chair et de sang dont les lecteurs peuvent se sentir proches. Smith et Rushdie sont aussi de formidables « raconteurs des mondes », de leurs abîmes et de leurs métissages. Ils sont les modèles du premier roman de Walid Rachedi dont l’action se déroule entre Lille, Séville, Grenade, Londres et le lointain Kaboul.
Nos destins sont liés
Plus franco-français, le nouveau roman de l'écrivain, Nos destins sont liés, est campé dans la France contemporaine autour des enjeux sociaux et politiques graves. Ces enjeux sont incarnés par les personnages du récit.
« Il y a cinq personnages qui sont au cœur de Nos destins sont liés, explique l’auteur. Le premier personnage s’appelle Salem. C’est un financier qui a 30 ans, qui est presque une sorte de caricature de réussite de l’intégration à la française, puisqu’il a fait les grandes écoles en venant d’un milieu très populaire. Il travaille dans la finance mondialisée. Dans une tonalité un peu différente, on a le personnage de Lisa Elatre-Lévy, dont le père est Antillais, la mère est juive ashkénaze. C’est une jeune femme brillante, qui réussit dans les études et qui va se retrouver à travailler dans la même tour à La Défense que Salem. Elle est un peu dans ce sauve-qui-peut individualiste. Et enfin, Ronnie Elatre-Lévy, le frère de Lisa, qui est, lui, plein d’idéalisme, qui a une sorte de vision très pure de ce qu’est la musique, le rap, qu'il a envie d’en faire sa vie. Ce sont les personnages de transfuge de classe issus de l’immigration. Ce qui m’intéresse dans ces personnages, c’est finalement tout ce qu’on porte aux nues au travers de ces gens qui réussiraient en oubliant quelque part d’où ils viennent et ce qu’ils sont. »
À ce trio, s’ajoutent deux personnages d’origine française, mais ils sont également perdus et sont, eux aussi, en quête de leur place dans la société. Il y a Céline de Verrière, jeune Versaillaise, étudiante. Vêtue tout de noir, elle est dans un trip gothique. Elle est rebelle, mais ne sait pas exactement contre quoi elle se rebelle. L'autre personnage français se prénomme Matthieu. Matthieu Vincent, c’est un ex-enfant placé. « A contrario des autres personnages qui ont trop plein d’identités, trop d’héritages, lui, ce dont il souffre, c’est de ce déficit d’héritage, un déficit qu’il tente de compenser à travers l’écriture, mais il ne parvient pas à donner corps à cette ambition, se condamnant à demeurer un écrivain de dimanche, éternellement frustré », soutient l’auteur.
Ce sont tous des personnages attachants, notamment Salem Bensayah, le frère de Malek, héros du premier roman, mort dans l’attentat de la gare du Nord. Salem poursuit d’une certaine manière la quête identitaire et spirituelle de son frère, en s’interrogeant sur le sens de sa réussite professionnelle. Ce roman est une sorte de jeu de chaises musicales entre ces cinq personnages qui vont se révéler à eux-mêmes grâce à leurs rencontres avec les autres.
« Only connect »
Structuré en cinq parties, comme une pièce de théâtre classique, Nos destins sont liés propose une fresque générationnelle, celle de la génération née dans les années 1980, engagée dans une quête d’épanouissement impossible.
« Ce que je veux raconter dans ce roman, proclame Walid Hajar Rachedi, c’est moins la question de l’identité que de trouver sa place dans l’existence et être dans un mouvement plutôt que d’être dans une étiquette paresseuse, dans une sorte d’archétype, parce que de manière très caricaturale, on peut imaginer que les cinq personnages, de prime abord, pourraient représenter des archétypes de personnes du 93, une personne de Versailles, une personne travaillant à La Défense, une étudiante à la Sorbonne : on a tous les ingrédients pour une sorte de mauvais sitcom. Et en fait, justement, pour moi, le défi, c’était de faire littérature, c’était de raconter des nuances et de déconstruire ces archétypes-là. Certains des personnages pensent que c’est dans un sauve-qui-peut individualiste qu’ils peuvent trouver une forme d’épanouissement ; en fait, ils se rendent bien compte qu’on n’est rien sans les autres. On n’est rien sans les autres. Ça, c’est important de raconter. »
« On n’est rien sans les autres », telle est la morale de l'histoire à la fois optimiste et grave que raconte Walid Hajar Rachedi dans son beau second roman. Or, sa morale n'est pas que morale, elle est aussi éminemment poétique et rejoint ce que la littérature n'a eu de cesse d'affirmer à travers les âges. elle n'est pas sans rappeler l'appel lyrique du Britannique E.M. Forster, qui écrivait en clôturant son grand roman Howard's End, « only connect », que l'on pourrait lire comme synonyme de Nos destins sont liés.
Rachedi / Forster, même combat !
Nos destins sont liés, par Walid Hajar Rachedi. Editions Emmanuelle Collas, 417 pages, 22 euros.

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