Chemins d'écriture

Improvisations sur l’amour, la paternité et la transmission, avec le Franco-Camerounais Marc Alexandre Oho Bambe

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Le Franco-Camerounais Marc Alexandre Oho Bambe a construit une œuvre singulière mêlant poésie et prose. Romancier, poète, slameur connu sous le nom de Capitaine Alexandre, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont trois romans. Son dernier, Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé, est le sujet de la chronique littéraire Chemins d’écriture.

«Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé», par Marc Alexandre Oho Bambe.
«Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé», par Marc Alexandre Oho Bambe. © Éditions Calmann-Lévy
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Dans les premières pages du nouveau roman du Franco-Camerounais Marc Alexandre Oho Bambe, le héros métis Jaromil, né d’un père africain et d’une mère française, reçoit dans sa boîte aux lettres un colis inattendu, contenant un courrier de son père qu’il n’a pas revu depuis son enfance. La lettre s’ouvre sur une injonction existentielle, devenue le titre au roman : Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé.

Ce titre peu banal donne d’emblée le ton pour le récit à la fois lyrique et dramatique que raconte Oho Bambe, tressant des thèmes aussi divers que le métissage, la paternité, la quête identitaire et l’amour, le tout sur fond de jazz, qui constitue à la fois la texture et le support thématique du roman, comme l’explique le romancier :  « C’est un roman-jazz sur l’amour ou un roman d’amour sur fond de jazz. Les deux vont main dans la main et les amours, on le met au pluriel, l’amour du père pour sa fille, l’amour du père pour son fils, l’amour du fils pour son père, l’amour du narrateur pour Maïsha, sa femme et l’amour de Maïsha pour Jaromil et comment les amours providentiels peuvent nous élever au-dessus de nos désastres. »

Désastres

Des désastres, Jaromil en connaît un rayon ! Principal protagoniste du roman, celui-ci tente de s’élever au-dessus des désastres personnels qu’il a traversés depuis son enfance. Sa mère qui l’a élevé n’a malheureusement pas su le protéger contre les moqueries dont il a été régulièrement victime. À Limoges, où Jaromil a grandi, au cœur d’une France bourgeoise et blanche, il était traité de « bâtard café au lait » ou, plus insultant encore, de « nègre à moitié ». Mais heureusement, il y avait le jazz, qui sera essentiel dans la construction de soi du jeune homme. Cette musique, qui est la métaphore du devenir-métis du monde dans ces pages, va aider Jaromil à découvrir sa vraie appartenance, conciliant tous les versants de sa personnalité.

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Marc Alexandre Oho Bambe a construit son roman comme des étapes de salvation de son héros. La première étape coïncide avec l’entrée du protagoniste dans l’orchestre Kilimandjaro Groove Band, dirigé par l’inénarrable Tanzanien Al. Al prend le jeune trompettiste sous son aile et le fait voyager à travers le monde, de New York à Marciac, en passant par La Nouvelle-Orléans et d’autres villes incontournables du jazz. Le voyage forme la jeunesse, dit-on. Jaromil en est la preuve. « Je suis devenu homme à Harlem », se souvient le jeune homme.

Sa rencontre avec Maïsha, celle qui deviendra sa femme, et la naissance de leur fille Indira, à laquelle Jaromil transmet son amour de la musique, sont les salvations ultimes du personnage, sans compter le bouleversement émotionnel que fut pour lui la réapparition de son père à travers le colis postal. Le plus bouleversant fut, peut-être, la découverte dans le colis de la photo du paternel « trait pour trait, troublante ».

Mais, guetté par le désespoir, le jeune héros a encore des démons à apprivoiser. Ceux-ci finiront par le terrasser…

Des romans-poèmes

Tragique, dramatique et profondément moderne et inventif dans son écriture, Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé est le troisième roman sous la plume de Marc Alexandre Oho Bambe. Poète, romancier, slameur, l’homme est venu à la littérature à Douala, au Cameroun, où il est né et a grandi, avant de venir s’installer à Paris à l’âge de 17 ans.

« Mon envie d’écrire, se souvient-il, vient du salon à Bonapriso, à Douala, où ma mère, qui était professeure de lettres et de philosophie, animait un cercle de poésie à la maison, cercle dans lequel j’entendais déclamer des textes, j’entendais chanter des poètes classiques contemporains. L’enfant que j’étais s’abreuvait de toutes ces paroles, de ces voix, de ces chants. À la maison aussi, la bibliothèque de ma mère était bien remplie et où se traînait un certain nombre de livres qui m’ont happé très tôt. Je pense qu’on a des dispositions à certaines formes d’expressions et les miennes étaient bien encouragées et bien stimulées par l’environnement dans lequel je vivais et grâce à ma mère. »

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Entré dans l’écriture par la poésie qui demeure selon Oho Bambe « l’art suprême », l’écrivain poursuit ses errances poétiques à travers ses romans. La critique parle de « romans-poèmes », qualificatif qui sied à merveille au nouvel opus du romancier dans lequel les pages poétiques alternent avec la prose, effaçant les frontières entre les genres. Dans les pages de Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé, l’écriture s’apparente davantage à un récital de jazz, avec des titres, des chapitres inspirés des titres des albums qui enchantent nos mélancolies. Les retours récurrents aux grands maîtres du jazz comme à leurs œuvres - My Funny Valentine, Mo’ Better Blues, Summertime, pour ne citer que ces quelques titres – permettent de tracer un chemin d’écriture original, entre jazz et écriture. Il définit la pratique littéraire d’Oho Bambe.

« J’ai adossé ma geste artistique à la liberté, à l’improvisation, le fait d’aller chercher toujours plus loin quelque chose de plus grand, quelque chose de l’instant à habiter : le jazz m’a offert ça, soutient le romancier. Les romans que j’écris, je les écris sans structure au départ, je les écris sans vraiment savoir où je vais. Et puis je laisse les mots comme les notes me guider vers ce que j’ai envie de raconter. Tous les livres que j’ai publiés sont nés d’abord parce que j’avais rêvé leur titre. Quand je commence à écrire, j’ai juste le titre du livre, une histoire – quelque chose que j’ai envie de raconter. Je suis plutôt dans l’écriture même, dans cette liberté de laisser chanter ma plume et voir où elle m’emmène. Vraiment comme un musicien qui ne sait pas où les accords vont le mener, mais il est en confiance. Il sait qu’il peut se passer un miracle et il va en quête de ce miracle. »

Improvisations

Dans Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé, ce miracle s’accomplit à travers la fluidité de la narration, à travers la douce mélancolie qui dégage de ces pages et à travers leur ambiance délicieusement nostalgique.

Les romans de Marc Alexandre Oho Bambe sont des improvisations fécondes autour de nos vies humaines fragiles où de grands bonheurs et de grandes tragédies font chambre commune.

 Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé, par Marc Alexandre Oho Bambe. Editions Calmann-Lévy, 285 pages, 19 euros.

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