Variations sur la rencontre, avec le romancier franco-congolais Éric Mukendi
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Éric Mukendi s’était fait connaître en 2023 en publiant aux éditions Gallimard son premier roman Mes deux papas, un récit subtil et drolatique sur les heurs et malheurs du multiculturalisme, doublé d’une éducation sentimentale, dans la France d’aujourd’hui. Il vient de publier Le blues du dimanche soir, qui est un recueil de trois nouvelles, soit trois variations sur la solitude et l’amour, comme le précise l’éditeur dans sa description du livre sur la quatrième de couverture. Entretien avec Éric Mukendi.

RFI : Ces nouvelles paraissent un an après la publication de votre roman, mais vous avez raconté que les thématiques que vous y abordez, elles vous obsèdent depuis longtemps. À quand remonte la rédaction de ces nouvelles ?
Éric Mukendi : Je dirais que la gestation de ces nouvelles a duré quelques douze, treize, voire quinze ans. Je les ai beaucoup réécrites, retravaillées, jusqu’à l’année dernière quand après la parution de mon roman, je les ai proposées à l’éditeur. Au départ, ce devait être un recueil de cinq nouvelles. Je voulais faire un livre assez éclaté, avec des styles différents. Il y avait une nouvelle de science-fiction et j’avais aussi ajouté une nouvelle policière. C’est la maison d’édition qui a choisi de ne retenir que trois. D’une certaine manière, je trouve qu’ils ont bien fait car il y a dans cette version plus ramassée une belle cohérence, alors que les trois nouvelles ne sont pas reliées vraiment. L’unité qui se dégage du volume est de l’ordre de l’ambiance, de l’ordre de thématiques, de sensations, de feeling, qui font que les trois textes fonctionnent bien ensemble.
Qu’est-ce qui selon vous, Éric Mukendi, fait l’unité thématique du recueil ?
Les trois nouvelles parlent de rencontres, de la place que les rencontres jouent dans la vie des personnages. Ces derniers sont prisonniers des vies qui sont les leurs. Elles ne leur conviennent pas, mais ils sont obligés de faire avec. Je voulais traduire cette frustration, et aussi la tension vers une vie rêvée, épanouie, qui serait de l’ordre de l’idéal. C’est ce que j’ai raconté dans les deux premières nouvelles. Dans la troisième nouvelle, on lit une histoire qui mêle le policier, le fantastique et un peu la métaphysique. Elle est un peu différente des deux autres, mais on y retrouve le personnage masculin qui est pris dans une situation qui le dépasse.
Peut-on dire que la rencontre, l’échange, le donner et le recevoir, sont les antidotes contre le sentiment profond de mal-être dont souffrent vos personnages, en particulier le protagoniste de la première nouvelle, la nouvelle éponyme ?
Oui, on peut dire ça. J’ai aussi mis beaucoup de moi-même dans cette histoire parce que moi, je suis enseignant et je voulais raconter la frustration qu’on peut ressentir quand on est enseignant. Le personnage d’Henri, principal protagoniste de la nouvelle, franchit le cap en démissionnant, comme beaucoup d’enseignants le font de nos jours, mais démissionner pour moi reste de l’ordre de fantasme. Le personnage qui est un peu mon double dans cette histoire, est plongé dans les sentiments et les émotions que j’ai moi-même connus. Il se retrouve au fond du trou. Pour se relever, il se remémore le processus qui l’y a conduit, et surtout son histoire avec Veronica, qui fut sa compagne au Mali. Il regrettera de n’avoir pas su mesurer à sa juste valeur cette relation exceptionnelle qu’il avait su bâtir avec elle, une rencontre qui l’aurait sans doute délivré du poids de la réalité quotidienne qui pèse sur lui et l’enferme dans sa frustration.
C’est sans doute dans la deuxième nouvelle que vous nous donnez à lire une illustration particulièrement réussie et très littéraire aussi du thème de la rencontre, avec un sens consommé du dramatique. Parlez-nous de cette histoire où vous mêlez Gide et sa réception au récit d’une drague ratée ?
La nouvelle met en scène la rencontre entre un vigile surdiplômé et une professeure de français. La soirée s’annonce riche en promesses, d’autant que le couple ont en partage leur amour de la littérature. Leurs discussions les conduisent à André Gide et à son rôle dans la découverte des horreurs de la colonisation en Afrique. Or si pour le Centrafricain Robert, la vision de l’Afrique de l’auteur du Voyage au Congo n’était pas totalement exempte de préjugés de son temps, Annie la littéraire s’accroche au mythe du grand homme clairvoyant, en avance sur son époque. Il me semblait amusant de raconter comment, quasiment un siècle après la parution de son célèbre essai sur la colonisation, Gide parvient encore à semer la pagaille dans une romance balbutiante et prometteuse !
C’est très réussi. Sommes-nous encore dans la rencontre dans la troisième nouvelle ?
Dans « Le jour de ma mort », l’histoire est axée sur une rencontre improbable, une rencontre du troisième type. Je joue ici avec les codes du film noir, du fantastique, du surnaturel et de la métaphysique.
La nouvelle comme genre se caractérise par sa concision, alors que vos nouvelles sont plutôt longues. Est-ce que vous vous sentez à l’aise dans la cette forme de narration ?
La concision, à mon avis, n’est pas uniquement une question de nombre de pages, mais elle est aussi un problème de structure et de dramaturgie. En retravaillant ces nouvelles, j’ai beaucoup élagué, en ramassant l’action sur la montée de tension entre les personnages, entre Robert et Annie par exemple dans la seconde nouvelle ou entre Henri et ses collègues de l’usine où il travaille, dans la première nouvelle. La tension monte et se résorbe avec la chute où le drame se dénoue. J’ai beaucoup travaillé sur les chutes pour qu’elles sonnent vraisemblables et pas artificielles.
Vos récits tournent autour des questions de solidarité, de donner et de recevoir. Diriez-vous que vous êtes un écrivain engagé ?
Je sais bien que ce qui compte d’abord en littérature, c’est le style, comment on écrit. Ecrire n’est pas une histoire de morale, mais je ne pense pas que l’esthétique littéraire aille sans une conception morale de l’œuvre, non plus. Je ne le crois pas.
Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
Vraiment, j’ai commencé très tôt. Au collège, j’écrivais déjà, je crois. Les premiers textes que j’ai écrits d’une manière sérieuse espérant être publié, c’était pendant mes études de lettres, à l’université. Je devais avoir alors une vingtaine d’années. Dès l’enfance, j’étais fasciné par la lecture. Et plus je lisais, plus je me répétais qu’un jour, j’écrirai ; un jour, je serais publié ; un jour, je serais écrivain. Il y en a qui veulent devenir médecin, il y en a qui veulent devenir avocat, moi, mon rêve de toujours, c’était de devenir écrivain !
Le blues du dimanche soir, par Éric Mukendi. Collection « Continents noirs », Éditions Gallimard, 159 pages, 18 euros.
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