Maria Lvova Belova, le visage angélique d'un sombre trafic
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Au nom du sauvetage des orphelins ukrainiens, Maria Lvova Belova, commissaire aux Droits de l’enfant de la Fédération de Russie depuis 2021, est la cheville ouvrière d’une politique de transfert d’enfants ukrainiens vers la Russie. Une pratique qui relève du crime de guerre selon le droit international.

Entourée d’enfants de tous âges Maria Lvova Belova descend d’avion. Dans le hall de l’aéroport, ces orphelins d’Ukraine sont accueillis avec profusion de ballons géants et grands sourires. Cette vidéo est l’une des centaines que l’on trouve sur internet et notamment la chaîne Telegram de la Commissaire aux droits de l’enfant. En pique-nique dans un parc, devant un atelier de graffiti urbain, avec des enfants à l’hôpital, Maria Lvova Belova soigne sa communication.
38 ans, un visage de madone renaissance et une allure soignée, cette ancienne professeure de guitare mariée à un pope, est une fervente chrétienne. Elle a une famille de 23 enfants dont cinq biologiques, les autres étant adoptées ou sous tutelle. « Cela en fait une figure très symbolique », explique Galia Ackerman, historienne directrice du site Desk Russie, « celle d’une femme modeste que l’on voit souvent couverte d’un fichu comme les croyantes orthodoxes, qui prône donc les valeurs de la famille, de la charité, mais derrière cette façade se cache une réalité probablement moins rose ».
Plusieurs organisations ont documenté des transferts forcés de population de l’Ukraine vers la Russie, dont ceux d’enfants dans le but de les faire adopter, en violation de plusieurs conventions juridiques internationales. En novembre dernier, Amnesty International présentait des recherches indiquant que des enfants séparés de leurs familles avaient des difficultés à quitter le territoire russe.
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Des prises en charge dans des centres spécialisés pour y suivre des « programmes d’intégration »
Le laboratoire de recherche humanitaire de l’Université américaine de Yale, qui a publié le 14 février le rapport le plus exhaustif jusqu’à présent sur le sujet, a documenté plus de 6 000 cas d’enfants de 4 mois à 17 ans qui ont été déplacés en Russie ou en Crimée. Ce chiffre est selon les chercheurs largement inférieur à la réalité. Une fois emmené sur le territoire de Russie les enfants sont soit placés en famille soit, dans un premier temps, pris en charge dans des centres spécialisés pour y suivre des « programmes d’intégration ». L’équipe de Yale, qui a travaillé à partir de sources ouvertes, dénombre 43 centres de ce type en Crimée et en Russie.
Proche de Vladimir Poutine, Maria Lvova Belova incarne cette politique. « Elle prétend sauver les enfants pour les placer, dans des foyers, les faire adopter. On leur donne immédiatement un passeport russe, parfois, on change leur nom ou leur date de naissance, de sorte que ces enfants deviennent introuvables. Par ailleurs, certains témoignages font état d’enfants placés dans des familles puis envoyés sans explication dans un orphelinat », affirme Galia Ackerman.
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En mars 2022, dans un entretien diffusé sur les réseaux sociaux, Maria Lvova Belova évoquait avec Vladimir Poutine l’arrivée d’une centaine d’orphelins du Donbass. Les délais et procédures d’adoption temporaire étaient plus contraignants quand les enfants n’avaient pas la nationalité russe, expliquait-elle alors. Deux mois plus tard, la loi était modifiée pour accélérer les procédures de naturalisation. De nombreux cas de familles ukrainiennes qui cherchent leurs enfants emmenés en Russie sont rapportés par les ONG et les chercheurs. Le gouvernement ukrainien lui-même réclame leur retour. Iryna Vereshchuk, la vice-Première ministre, a annoncé en avoir fait revenir 52. Mais aux demandes insistantes de Kiev, Maria Lvova Belova explique que ces enfants « aiment la Russie à présent, et n’ont pas envie de retourner chez leurs parents ».
Jannine di Giovanni dirige The Reckoning Project, une association américaine de journalistes et de juristes qui documentent les crimes de guerre pour les présenter à la justice. Elle a travaillé sur la région de Marioupol. « Là, comme dans tout le Donbass, les transferts d’enfants se font de deux façons », explique-t-elle. « Quand les parents passent par des camps de filtration, il y a parfois des bus qui emmènent les enfants, ils sont conduits de l’autre côté de la frontière jusqu’à Rostov par exemple et prennent l’avion pour Moscou ou d’autres villes. Mais il s’agit aussi souvent d’enfants placés en institutions. Ces institutions, héritage de la période soviétique, sont nombreuses dans le pays. Elles accueillent parfois des enfants de parents en difficulté de façon temporaire. Quand Marioupol est tombée, ces institutions ont été ouvertes et les enfants emmenés. Certains sont orphelins, mais beaucoup ne le sont pas. Leurs parents sont vivants, mais avec la guerre il y a tellement de déplacés internes qu’on ne sait pas où ils sont. »
Une assimilation forcée, selon The Reckoning Project
Maria Lvova Belova n’est pas seulement l’artisan de cette politique de déplacements, elle a elle-même adopté l’un de ces enfants, un adolescent de 15 ans, trouvé, dit-elle, avec une trentaine d’autres dans un sous-sol de Marioupol. Sur une vidéo de son compte Telegram, elle explique qu’au début, lui et ses camarades « parlaient mal du président russe et chantaient l’hymne de l’Ukraine », mais qu’à présent elle « voit sous [ses] yeux comment cette intégration commence à se faire ».
The Reckoning Project dénonce une assimilation forcée, Galia Ackerman estime qu’on efface leur identité : « L’adoption des enfants, c'est quelque chose qui sonne toujours très noble. Mais on sait qu’il existe des camps de rééducation. Car si avec les petits, c’est facile, les enfants en âge scolaire ont déjà une identité formée. Ils ont commencé à apprendre l’histoire de l’Ukraine, le folklore populaire, connaissent les chansons… Et là, brutalement, on leur arrache tout ce qu’ils ont su jusqu’à présent pour leur inculquer une autre histoire, une autre culture ». Maria Lvova Belova souhaite à présent installer des « structures socio-éducatives » spécifiquement adaptées aux adolescents sur le territoire ukrainien, dans les territoires annexés.
Aujourd’hui sous les projecteurs en raison de la guerre, Maria Lvova Belova a connu une ascension rapide avant d’être nommée la Commissaire aux droits de l’enfant en 2021. Co-fondatrice d’une organisation caritative en 2008, membre de la Chambre des droits civiques, elle a été vice-présidente du Front populaire panrusse à Penza, sa ville d’origine en 2019. Elle rejoint Russie unie la même année et devient sénatrice du parti en septembre 2020. Placée sous sanctions par les Occidentaux, elle est accusée par de nombreuses organisations internationales d’être responsable de crime de guerre.
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