Européen de la semaine

Tomio Okamura, l'ancien éboueur devenu chef de file de l'extrême droite tchèque

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Le 3 octobre prochain auront lieu des élections législatives cruciales en République Tchèque. Elles pourraient marquer le retour au pouvoir de l’homme d’affaires eurosceptique Andrej Babis, et la défaite du premier ministre libéral Petr Fiala. Mais c’est un troisième homme qui jouera un rôle crucial dans ce scrutin : le dirigeant du parti d’extrême-droite SPD, Tomio Okamura. Un homme d’affaires, lui aussi, mais au parcours détonnant sur la scène politique tchèque.

Le chef du parti Liberté et démocratie directe (SPD), Tomio Okamura, prononce un discours lors d'un rassemblement électoral pour les élections générales, le 3 septembre 2025, à Kladno, en République tchèque. Les élections législatives sont prévues le 3 octobre 2025 en République tchèque.
Le chef du parti Liberté et démocratie directe (SPD), Tomio Okamura, prononce un discours lors d'un rassemblement électoral pour les élections générales, le 3 septembre 2025, à Kladno, en République tchèque. Les élections législatives sont prévues le 3 octobre 2025 en République tchèque. AFP - MICHAL CIZEK
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Hostile aux migrants, à l’aide à l’Ukraine, au « Pacte vert » et à l’UE, il coche toutes les cases ou presque de l’extrême-droite européenne. Mais son parcours et sa biographie tranche singulièrement avec ceux de Marine Le Pen, de Georgia Meloni ou de Geert Wilders. D’origine japonaise, il a passé une partie de son enfance dans un orphelinat praguois où il fut victime de brimades en raison de ses origines mêlées… Et ses deux frères, engagés, eux aussi, en politique, mais au centre et à gauche de l’échiquier politique, lui reprochent amèrement son virage ultraconservateur. « C’est un grand paradoxe de voir que le principal dirigeant d’extrême-droite tchèque, grand défenseur de l’identité tchèque, de la protection face aux migrations et aux influences extérieures se nomme Tomio Okamura, de mère tchèque et de père japonais, note Jacques Rupnik, professeur à Sciences-Po et fin connaisseur de l’Europe centrale, il a d’ailleurs tenté sa chance au Japon, mais il y a découvert que là-bas aussi, il pouvait souffrir de xénophobie ».

Peluches et télé-réalité

Parti au Japon à 18 ans, Tomio Okamura multiplie les petits boulots : chauffeur de taxi, vendeur de pop-corn, éboueur… Et finit par jeter l’éponge. À son retour à Prague, il se lance dans le secteur du tourisme avec des idées parfois étonnantes. « Il a cofondé une agence de voyages qui proposait d’envoyer votre peluche ou votre jouet à l’autre bout du monde pour y être photographié », s’amuse le politologue Michel Perottino, qui enseigne à l’Université Charles de Prague.

« Il a aussi participé à une émission de télé-réalité sur l’entrepreneuriat et il est devenu vice-président de l’Association tchèque des agences de voyage ! », ajoute-t-ilAujourd’hui âgé de 53 ans, l’homme d’affaires présente volontiers son parcours comme une « success story » digne d’Hollywood. Son bagout et son charisme indéniables lui permettent en tout cas de rapidement s’imposer sur la scène politique.

Eurosceptique et anti-islam

En 2015, il fonde le parti d’extrême droite SPD (Liberté et démocratie directe) et il engrange très vite de premiers succès électoraux puisqu’il remporte un peu plus de 10 % des voix aux élections législatives de 2017. Tomio Okamura se réclame de Marine Le Pen et de Donald Trump, milite pour une sortie de l’Union européenne et fustige le « diktat écologique » de Bruxelles. Sur l’islam, son discours particulièrement virulent le rapproche de Geert Wilders, le dirigeant de l’extrême droite néerlandaise.

À partir de 2022 et de l’invasion générale de l’Ukraine par la Russie, il tient un discours très hostile aux réfugiés ukrainiens et dénonce l’aide militaire apportée à Kiev. « Le point de départ, et c'est ça qui peut être le plus important pour son électorat, c'est la très forte présence de réfugiés ukrainiens, principalement de femmes et d’enfants qu’il faut aider et qui obtiennent des allocations, pointe Michel Perottino, de l’université Charles de Prague. Ensuite, il y a un positionnement pro-russe, et un discours qui consiste à dire "faisons la paix à tout prix, et coupons les livraisons d’armes et de munitions aux Ukrainiens". Ce serait une décision très importante dans la mesure où la République tchèque a joué et joue encore un rôle crucial dans les livraisons de munitions à l’Ukraine ».

Un « tournant » pour toute la région

À la faveur du vent conservateur qui souffle sur l’Europe, Tomio Okamura peut ambitionner, désormais, sinon d’entrer au gouvernement, en tout cas de devenir le « faiseur de rois » du prochain scrutin. Grand favori des élections législatives qui auront lieu les 3 et 4 octobre prochain, l’ancien Premier ministre Andrej Babis est crédité de 30 % des voix et aura besoin d’un partenaire. Ce partenaire pourrait être le SPD de Tomio Okamura, crédité de 12 % des voix selon les derniers sondages.

Un scénario qui serait un tournant pour le pays bien sûr, mais aussi pour toute l’Europe centrale. « Il y a actuellement un équilibre entre les quatre pays qui forment le groupe de Visegrad : d’un côté la Pologne et la République tchèque, dirigées par des gouvernements modérés, libéraux, pro-européens, décrypte le chercheur Jacques Rupnik. Et de l’autre, la Hongrie d'Orban et la Slovaquie de Robert Fico, qui sont sur une ligne nationale-populiste. Si Babis remporte l'élection et s'il forme un gouvernement avec le soutien de Tomio Okamura, il y aura alors un glissement vers Orban et Fico. Cela crée, en Europe centrale, un pôle national souverainiste fort et très hostile au soutien à l'Ukraine. Bref, cela recompose totalement le paysage politique de la région ».

En attendant les résultats de ce scrutin décisif pour sa formation, une inconnue judiciaire de taille se dresse sur la route de l’homme d’affaires tchéco-japonais. Le SPD de Tomio Okamura est en effet poursuivi pour des affiches électorales ayant appelé à la haine – l’une d’entre elles montrant à un homme à la peau foncée, un couteau ensanglanté entre les dents. Selon la presse tchèque, le chef de file de l’extrême droite tchèque a déjà anticipé une éventuelle condamnation avec la fondation d’un nouveau parti qui pourrait succéder au SPD – une formation appelée, en toute modestie, Parti des soutiens de la démocratie et de Tomio Okamura.

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