Canicule en Inde: la survie des plus pauvres menacée par le réchauffement climatique
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À la mi-mai 2022, le thermomètre a dépassé les 49 degrés à New Delhi, un record absolu pour la capitale de l’Inde. Ces dernières semaines, le nord de l’Inde et le Pakistan connaissent des vagues de canicule, précoces et répétées, qui deviennent de plus en plus dangereuses pour la santé, surtout pour les millions d’ouvriers précaires qui travaillent en extérieur, ou pour les bébés qui risquent une déshydratation mortelle. La ville d’Ahmedabad, dans la région torride du nord-ouest de l’Inde, est l’une des plus chaudes du pays. Un reportage de notre correspondant, Sébastien Farcis.

De notre envoyé spécial à Ahmedabad,
Pour affronter cette canicule extrêmement difficile à supporter pour les plus modestes, qui vivent dans des petites maisons peu ventilées, une association les aide à installer des « toits rafraîchissants ».
Chandrika Navinbhai Parmar passe un fil rose dans le dé étroit de sa machine à coudre, referme le mécanisme, et démarre sa machine pour essayer de finir la confection d’une blouse. Il n’est que midi, mais cette jeune femme se sent déjà abattue par la chaleur ambiante. Il fait plus de 45 degrés dans les rues de ce quartier populaire d’Ahmedabad, et à peine plus frais à l’intérieur de sa petite maison. Au plafond, un ventilateur lancé à toute vitesse brasse un air brûlant et Chaurasia doit rapidement arrêter sa couture. « Ces jours-ci, je ne peux travailler que le matin et le soir après 17h, explique-t-elle. Cela réduit mes revenus ». Chandrika vit avec neuf de ses proches dans ce logement d’environ 20 m2 de Bhagwati Nagar, en banlieue est d’Ahmedabad. Les murs sont en briques et ciment, et le toit en tôle d’amiante, avec une seule petite fenêtre- et donc aucune ventilation croisée. « Nos trois enfants sont constamment malades à cause de cette chaleur… Ils vomissent et ont des diarrhées, confie-t-elle d’une voix inquiète, en regardant sa soeur bercer le plus petit. Rien que ce matin, ce bébé d’un an et demi est allé cinq fois aux toilettes. Et nous devons lui donner des médicaments pour qu’il aille mieux. »
Un réchauffement de 4 degrés d’ici la fin du siècle
En ce 11 mai, les services de météorologie ont enregistré 45,8°C dans cette ville du nord-ouest de l’Inde, soit la plus forte chaleur depuis six ans pour un mois de mai. Quelques jours plus tard, New Delhi grille également, par 49°C. Un record historique pour la capitale. Tout le nord de l’Inde est frappé par une canicule précoce et extrême. Le mois de mars a déjà été le plus chaud de l’histoire moderne de l’Inde, avec des températures moyennes de 1,6°C supérieures aux normales saisonnières.
Dans cette région encastrée et fortement peuplée, la réalité du réchauffement climatique devient donc saisissante. Et cela ne fait que commencer : un rapport du ministère indien des Sciences de la Terre sur le changement climatique, publié l’année dernière, alerte que le pays pourrait connaître un réchauffement de 4,4°C d’ici à 2100, par rapport à la moyenne de la période 1976-2005, ce qui entraînera des canicules deux fois plus fréquentes et bien plus longues. Cela revient à une augmentation des températures quatre fois plus rapide que lors du XXème siècle, et l’un des réchauffements les plus intenses du monde. Dans un pays où moins d’un habitant sur cinq à accès à la climatisation, ces chaleurs extrêmes tuent.

Les toits rafraîchissants
En 2010, 1 344 personnes sont mortes à Ahmedabad des effets d’une canicule extrême qui a frappé cette ville située à la frontière avec le désert du Thar. La municipalité a alors réagi et été la première en Inde à déployer un plan d’action contre la chaleur, en 2013. Celui-ci renforce la coordination entre les services météorologiques, la municipalité et les services de santé, afin de mieux informer et soigner les populations les plus vulnérables : les personnes âgées et les nouveau-nés. Mais ce plan ne prévoit rien pour adapter les logements populaires et de bidonvilles, transformés en étuves pendant l’été. Des quartiers où vivent pourtant environ deux millions de personnes, soit plus du quart de la population d’Ahmedabad.
Ce travail d’adaptation est principalement mené par l’association Mahila Housing Sewa Trust, qui développe des techniques de « toits rafraîchissants ». Surekha Chaurasia Poonambhai vit, cuisine et travaille dans le logement familial d’une petite pièce, munie d’une seule fenêtre, et situé dans le quartier populaire de Bhagwati Nagar. Son toit en tôle d’amiante est ainsi peint depuis deux ans avec une peinture blanche spéciale, qui réfléchit le soleil. « Avant, la température montait à 45 degrés à l’intérieur, maintenant le maximum est de 42°C la journée », affirme-t-elle, en montrant un thermomètre électronique. Elle continue à faire une pause aux heures les plus chaudes, mais « travaille maintenant deux heures de plus », se réjouit-elle. « Et je ne souffre plus de vomissements ni de diarrhées ». Couvrir de deux couches un toit de 10 m2 comme le sien coûte environ 2 500 roupies ( 30 euros) - une somme généralement trop élevée pour ces familles, qui est donc payée par l’ONG. Pour une efficacité optimale, le toit doit être nettoyé régulièrement et la peinture renouvelée tous les deux ans. Cette technique de rafraîchissement est la plus simple et répandue, et selon une étude scientifique indépendante, elle permet de réduire la température moyenne de 1,1°C par rapport à un toit en tôle classique.
Construire mieux pour utiliser moins de climatisation
Plus efficace mais plus cher, le « toit modulaire », composé d’une épaisse couche isolante de déchets organiques et d’emballage encastrée entre deux planches. Cette technique réduit la température intérieure de 4,5°C en moyenne, selon la même étude, et coûte environ 1 700 euros. La famille Parmar a emprunté cette somme à la branche de crédit coopératif de Mahila Housing Sewa Trust, pour recouvrir sa terrasse du premier étage. En l’ombrageant ainsi, la température a baissé de dix degrés dans cet espace, et cela rafraîchit également le salon du rez-de-chaussée. Un autre avantage de cette technique est que ce toit peut être démantelé facilement et emporté, ce qui est assez attrayant pour des populations de bidonvilles illégaux qui craignent de se faire chasser de leur logement.
L’ONG a ainsi aidé plus de 6 800 foyers modestes du nord de l’Inde à rafraîchir leurs maisons, une action récompensée par le prix Ashden, décerné lors de la COP26 sur le climat de Glasgow, en novembre 2021.
La municipalité d’Ahmedabad prévoit maintenant de s’en inspirer et de peindre certains toits de ces quartiers avec de la peinture réfléchissante. Mais pour la responsable du programme sur le changement climatique de Mahila Housing Sewa Trust, le gouvernement doit surtout construire mieux. « La municipalité a lancé de grands travaux pour loger les populations des bidonvilles dans des grandes tours de huit étages, explique Bhavana Maheriya, mais ces bâtiments ne prennent pas en compte la chaleur. Les constructeurs doivent mieux les construire, les peindre de peinture réfléchissante, installer des panneaux solaires ou rétablir les techniques traditionnelles comme celle de la visière, qui place un petit toit au-dessus de chaque fenêtre pour créer de l’ombre. Car sans tout cela, ces logements enferment la chaleur et doivent utiliser beaucoup de climatisation. Or cela rejette toute la chaleur en extérieur et fait davantage souffrir les plus pauvres. »
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