Retour des puissances internationales et régionales à Djibouti: «afin de contrôler les ports de la mer Rouge, l’entrée de la mer Rouge»
Publié le :
Le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh est actuellement en France. Il rencontre ce vendredi 12 février le président français Emmanuel Macron. Cette visite intervient alors que Djibouti est devenue ces dernières décennies l'objet de nombreuses convoitises géopolitiques et a su en jouer. La France, elle, souhaite renouveler son accord de défense avec les autorités djiboutiennes. Pour essayer de comprendre les jeux diplomatiques en cours autour de ce petit pays de la Corne de l'Afrique, notre invitée est la chercheuse en science politique Sonia Le Gouriellec.

RFI : Où en est-on des relations entre la France et Djibouti ?
Sonia Le Gouriellec : Les relations entre la France et Djibouti semblent être plutôt au beau fixe en ce moment, mais c’est vrai que cela n’a pas toujours été le cas. C’est une relation qui est souvent très passionnelle et marquée, finalement, par beaucoup de suspicion. Et c’est vrai que j’aime à reprendre ce que le président djiboutien dit lui-même dans une de ses biographies, que c’est une relation « Je t’aime, moi non plus ».
Ce que vous expliquez, dans votre ouvrage « Djibouti : la diplomatie de géant d’un petit État », c’est que depuis trente ans, depuis les années 1990, les relations entre les deux pays ont traversé plusieurs moments de tension…
Djibouti c’est le dernier État à avoir obtenu son indépendance de la France, en 1977. Mais au début, la France n’est pas vraiment partie. Cela a été une forme de protectorat et effectivement, on a une période marquée par des soubresauts au début des années 1990. Il y a eu la Guerre civile et le régime en place, à l’époque, estimait que la France n’était pas suffisamment loyale et prenait partie pour les rebelles. Il y a eu l’affaire Borrel, qui est donc un magistrat français qui a été assassiné à Djibouti. L’affaire reste très obscure. Par la suite, il y a eu de nouvelles difficultés dans ces relations, notamment le conflit avec l’Érythrée en 2008. Les Djiboutiens ont estimé que les Français n’ont pas fait suffisamment pour les protéger de l’attaque d’Issayas Afeworki à la frontière. Puis, peu de temps après, il y a eu la déflation des forces françaises à Djibouti, les Djiboutiens estimant une nouvelle fois qu’ils n’avaient pas été associés aux discussions pour le nouveau Livre blanc, qui annonçait justement cette déflation.
Est-ce que ce sont ces tensions avec Paris qui peuvent expliquer l’ouverture de Djibouti à d’autres pays ?
Cela explique effectivement l’ouverture de Djibouti à d’autres puissances. Le contexte international a été une opportunité pour le régime djiboutien : la piraterie, les routes de la soie, le terrorisme, etc. Mais la présence chinoise ce n’est pas que des investissements, c’est aussi beaucoup de prêts et donc Djibouti est très endettée auprès du partenaire chinois, ce qui permet au partenaire chinois d’avoir une pression politique plus forte sur le régime. Et cela c’est une inquiétude. Il me semble que le régime djiboutien, passé la période d’euphorie de 2017, commence à se rendre compte de la situation et se retourne du coup un peu plus vers le partenaire traditionnel et fidèle qu’est la France, depuis longtemps.
Ce qui peut en partie expliquer le réchauffement actuel ?
Ce qui peut largement expliquer le réchauffement actuel, tout à fait.
Est-ce que l’on a une idée de ce qui se négocie actuellement entre les autorités françaises et les autorités djiboutiennes ?
Des échos que l’on a, a priori il y a toujours une question financière. Et évidemment une question, aussi, liée à la présence française à Djibouti même. C’est-à-dire, des endroits que la France et l’armée française utilisent. Les derniers échos c’était des débats autour notamment du Héron, un espace au nord de la ville, proche de la mer, que la marine française utilise, à Djibouti.
Quels sont les autres partenaires importants de Djibouti à l’heure actuelle ?
Si l’on prend chronologiquement les choses, après la France, au début des années 2000, les Djiboutiens ont accueilli la première base militaire américaine sur le continent africain, dans le cadre de ce que George W. Bush avait lancé, la « Global War on Terror ». Puis il y a eu la lutte contre la piraterie, où le régime a su profiter de l’opportunité d’attirer de nouveaux partenaires. Donc les Japonais ont installé au départ ce qui étaient des installations militaires… C’est devenu une base, alors même que la Constitution japonaise ne le permet pas. Dans la foulée, les Italiens ont également eu une base… et on a les Allemands et les Espagnols qui sont présents, sans avoir de base. Et un peu plus tard, en 2013, avec le lancement de la « Belt and Road Initiative », que l’on appelle souvent les « Nouvelles routes de la soie », les Chinois sont effectivement arrivés et on a vu la naissance de nouveaux ports, de nouvelles routes et le chemin de fer entre Addis-Abeba et Djibouti.
Dans quelle mesure cette compétition entre puissances pour une présence à Djibouti assoit un peu plus le pouvoir actuel ?
Aujourd’hui, on a un retour de toutes les puissances internationales et régionales, afin de contrôler les ports de la mer Rouge, l’entrée de la mer Rouge qui est une véritable autoroute maritime. Vous avez bien compris, qu’avec l’actualité, il est difficile d’être présent au Yémen. L’Érythrée est un État totalitaire. Le Somaliland n’est pas reconnu… Donc la seule possibilité, c’est Djibouti. Et Djibouti profite, effectivement, de cette présence qui donne, en tout cas, confiance au régime, qui lui permet de maximiser ses profits et surtout qui lui permet de ne pas avoir de pression des États occidentaux et des institutions internationales, sur la démocratisation du pays. Parce qu’aujourd’hui, c’est quand même l’une des grosses difficultés, Djibouti est loin d’être une démocratie. Mais pour l’instant, comme c’est notre présence sur place qui est importante - donc Occidentaux, Chinois, en règle générale -, on ferme un petit peu les yeux sur cette question.
• Et l'ouvrage de Sonia Le Gouriellec, Djibouti : la diplomatie de géant d'un petit État, est édité par les Presses Universitaires du Septentrion.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne