«L’eco dans l’eco»: vers une réforme à géométrie variable de la monnaie ouest-africaine
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Le lancement de l’eco, la future monnaie commune ouest-africaine, est reporté à 2027. Pourquoi ce délai, quelles sont les réformes déjà accomplies et celles qui restent à faire ? RFI a posé ces questions à Maître Boris Martor. Avocat au barreau de Paris, il est associé au sein du cabinet d’avocats Bird & Bird, spécialiste du financement des entreprises, des institutions, des infrastructures et des énergies sur le continent africain.

Rfi : La marche vers l’eco - la future monnaie ouest-africaine - va reprendre en 2022, après plus d’un an de suspension liée au Covid-19. En quoi la pandémie a-t-elle été un obstacle au processus ?
Boris Martor : La crise sans précédent que les économies africaines ont traversée, a eu un impact très fort sur la situation économique et sociale au niveau des économies nationales, mais au niveau régional également. Les comptes publics ont été dégradés très fortement dans chacun des États, l’inflation a augmenté et le contexte et les indicateurs économiques n’étaient pas forcément au beau fixe pour pouvoir organiser une réforme de cette ampleur.
Un « eco dans l'eco »
Cela étant, depuis les déclarations d’Alassane Ouattara et d’Emmanuel Macron, fin 2019, des progrès ont quand même été faits pour la zone CFA [Communauté financière africaine] de l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine], puisqu’on a parlé de ce nom et d’arrimage à l'euro. On a également suspendu les représentants qui étaient nommés par la France, dans les instances de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Il n’y a plus d’obligation de déposer les réserves de change auprès du Trésor français. Donc il y a quand même des choses qui ont été faites, puisque le Parlement, en France, a également validé cette décision de changement de nom, mais aussi de changement de ces différents éléments d’obligation de centralisation de réserve et de représentativité.
Le lancement de l’eco est désormais repoussé à 2027. Est-ce que ce nouveau calendrier est tenable, étant donné les désaccords qui subsistent entre les quinze pays d’Afrique de l’Ouest, qui ont ce projet de monnaie unique ?
Il y a effectivement un eco dans l’eco, puisqu’il y a le sujet de changement de nom de franc CFA pour l’eco. Et là, sur le calendrier de l'UEMOA elle-même, on n’a pas encore totalement de visibilité pour savoir si ce changement de nom va avoir lieu, et si en réalité le franc CFA et les mécanismes dont j’ai parlé vont demeurer, juste avec un changement de nom. Rien ne semble impossible, puisque les éléments que j’ai cités pour l’EMOA ont été accomplis depuis décembre 2019 et de toute façon la zone franc CFA de l’UEMOA, avec ses huit pays, va continuer d’avoir une parité fixe avec l’Euro, avec une garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle.
Pour ce qui concerne l’eco, au sens plus large, c’est-à-dire l’eco qui comprendrait quinze pays - l’ensemble des membres de la Cédéao, dont l’UEMOA et ses huit pays - là, le calendrier qui a été fixé suite à la dernière conférence des chefs d’État, est un calendrier qui est à horizon 2027.
Maintenant, la zone franc CFA qui serait renommée eco, a un système qui fonctionne. Elle a bénéficié de ces réformes, elle est arrimée à la zone euro, etc. Or, la zone eco-Cédéao, si on l’appelle ainsi, nécessiterait que l’ensemble des économies des sept autres pays de la zone ouest-africaine, qui ne sont pas arrimés à l’euro, choisissent, soit éventuellement un arrimage à l’euro, soit éventuellement un panier de devises pour régler cette monnaie.
En tout cas cela nécessite de trouver un mécanisme d’organisation qui contente à la fois les États membres de l’UEMOA et tous les États membres de la Cédéao [Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest]. Avec un agenda politique et économique qui effectivement est très important, le Nigeria et le Ghana, par exemple, qui sont deux économies très importantes de la région, ont évidemment beaucoup d’échanges en livres sterling avec le Royaume-Uni, ce qui n’est pas forcément le cas des économies de la zone UEMOA. Donc ce serait une réforme de beaucoup plus grande ampleur, d’avoir quinze pays qui choisissent une même monnaie, alors même qu’ils ne viennent pas du même horizon, ou en tout cas qui n’ont pas eu le même historique monétaire.
Sur quoi cela bloque-t-il le plus ?
Je pense que ça bloque, comme ça bloque traditionnellement, quand il y a des annonces faites pour des réformes de cette ampleur en Afrique ou dans d’autres pays du monde. Cela nécessite un consensus politique important. Ce qui bloque, c’est certainement un compromis politique, mais aussi de savoir exactement ce que veulent faire les membres de la Cédéao, s’ils veulent se donner les moyens de leurs ambitions. Et là, pour l’instant, ils en sont encore à un stade de réflexion très avancé, mais ils restent certainement dans la feuille de route sur laquelle le communiqué montre qu’il y a des progrès à faire et certainement beaucoup d’inconnues.
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