Thierry Breton: «Il est indispensable que l'Afrique puisse être autonome en matière vaccinale»
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Le Sénégal va se lancer dans la production de vaccins anti-Covid-19. Un premier accord de financement a été signé vendredi 9 juillet pour une usine de fabrication qui doit être mise en service dès 2022. Un projet mis en œuvre par l’Institut Pasteur de Dakar, dans le but d’approvisionner une partie du continent. Un pas vers la « souveraineté vaccinale », alors que l’Afrique ne produit qu’1% de ses besoins en vaccins. Thierry Breton est commissaire européen en charge de la « task force vaccins », il vient d’achever un déplacement à Dakar. Il réagit au micro de Charlotte Idrac.

Rfi : Une usine produira des vaccins dès l’an prochain, à Diamniadio, près de Dakar, l’Europe participe au projet avec d’autres partenaires. Quel vaccin y sera produit, par qui, pour qui ?
Thierry Breton : D’abord, je crois qu’il faut reprendre les propos du président Macky Sall - c’est un jour historique, a-t-il dit -, et je crois qu’il a raison. Nous avons souhaité - nous, en Europe - livrer la moitié de notre production pour tous les autres pays. On a décidé aussi d’accompagner les pays qui n’avaient pas encore d’infrastructure vaccinale dans ce combat, parce qu’il est indispensable que le continent africain puisse être autonome en matière vaccinale. On a donc identifié un certain nombre de sites, et bien entendu Dakar a été retenu tout de suite, compte tenu de la présence historique de l’Institut Pasteur de Dakar, c’est le seul endroit en Afrique où on fabrique vraiment des vaccins.
Pour la fièvre jaune ?
Pour la fièvre jaune, etc. Il faut aller vite en tout cas. Il faut évidemment avoir une plateforme industrielle. Donc celle qui sera bâtie ici, elle doit être multi-technologies, parce qu’évidemment, il faut pouvoir répondre s’il y a des variants - et on sait qu’il y en aura - aux vaccins qui répondent le mieux à l’évolution de la situation sanitaire. Des grandes capacités de production, trois cents millions de doses y seront produites à terme, mais aussi, des technologies différentes. On est encore en train d’en discuter, notamment avec le président de l’Institut Pasteur. Mais il y a des candidats vaccins qui marchent très bien, par exemple Johnson & Johnson. C’est vrai qu’un vaccin qui est à simple dose et qui a fait ses preuves, c’est un bon candidat.
Le coût estimé du projet est de deux cents millions d’euros. Selon le ministre de l’Économie, quatorze millions ont déjà été mobilisés en dons, d’où viendra le reste ?
La deuxième phase va démarrer dans quelques mois, beaucoup d’États membres ont manifesté leur intérêt. Nous-mêmes, à la Commission, nous travaillons sur un minimum de quinze millions d’euros. L’Allemagne a dit qu’ils étaient prêts à mettre vingt millions d’euros, les États-Unis ont marqué de façon très significative leur intérêt et leur soutien au projet. Je n’ai aucun doute qu’on va y arriver. C’est un projet qui est très important, évidemment, pour le Sénégal, pour l’Afrique et pour le monde, parce qu’on sait très bien qu’on ne pourra vaincre cette pandémie que si on se donne les moyens tous ensemble d’avoir de la production vaccinale qui va bien.
Et donc ce sont des vaccins qui seront destinés au Sénégal, mais aussi pour approvisionner la sous-région, le continent ?
Bien sûr, autour de ce projet, il y a évidemment l’ambition de créer toute une infrastructure pharmacologique, pharmaceutique. Les industries de la pharmacie doivent se développer en Afrique. Avec ce projet, le Sénégal sera un exportateur net, évidemment, de ces produits et en particulier pour les vaccins bien entendu.
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Le vaccin AstraZeneca, produit en Inde, dit Covishield distribué en Afrique via Covax, dont fait partie la Commission européenne, n’est pas reconnu par l’Agence européenne des médicaments. Pourquoi ? C’est la même technologie, pourtant, que l’AstraZeneca produit en Europe. Est-ce à dire qu’il y aurait un AstraZeneca pour les riches, un AstraZeneca pour les pauvres ?
Non. Je comprends la question, mais ce n'est pas du tout comme ça qu’il faut voir les choses. L’Agence européenne reconnait les vaccins lorsque l’on en fait la demande. Donc il faut évidemment que leSerum Institute qui produit ce vaccin, à Mumbaï, en fasse la demande. À partir du moment où la demande est faite, nos équipes se mettent en mouvement, l’EMA est une agence autonome. Bien entendu, ce n’est pas parce que l’EMA n’a pas été sollicitée par tel ou tel fabricant de vaccin que ce vaccin, pour autant, n’est pas efficace.
Donc l’initiative devrait venir du Serum Instute ?
Bien sûr, notre agence répond aux sollicitations. Mais derrière, il faut bien savoir qu’à partir du moment où la demande est faite, ça prend un certain nombre de semaines, voire de mois, parce qu’avoir l’agrément de l’Agence européenne des médicaments, c’est quelque chose qui répond à des critères scientifiques très objectifs.
Certains pays européens ont annoncé qu’ils allaient reconnaître cet AstraZeneca Covishield, comme l’Allemagne, la Belgique, mais pas la France par exemple. La Grèce, de son côté, reconnait le vaccin russe Spoutnik V, est-ce que ça ne brouille pas le message, est-ce qu’il ne faudrait pas une position européenne uniforme ?
La position existe, elle est là. Je rappelle qu’au niveau de l’Union Européenne, la politique de santé, évidemment, est à la charge des États-membres, et c’est bien ainsi. Donc nous, à la Commission, on suit les recommandations de l’Agence européenne de Santé. Les États-membres, ensuite, sont libres de faire ce qu’ils veulent. Mais pour circuler librement dans l’Union européenne avec un pass sanitaire que nous avons mis en place depuis le 1er juillet, il faut avoir des vaccins reconnus par l’EMA. C’est ce qui nous donne la liberté de circulation, tout en nous donnant la garantie qu’on n’est pas un risque pour les autres et bien entendu pour soi.
Sur le continent, plusieurs pays ont annoncé la production de vaccins sur leur territoire. Le Maroc a signé un accord avec le laboratoire chinois Sinopharm, l’Égypte produit le vaccin chinois Sinovac, l’Algérie va fabriquer le vaccin russe. Au-delà du Sénégal, avec cette nouvelle usine, où sont les Européens sur le continent ?
Les Européens sont partout. Nous évaluons tous les sites qui sont potentiellement des candidats. Dans certains des pays que vous venez de citer, nos équipes sont en train d’évaluer, par rapport à l’infrastructure nécessaire pour pouvoir implanter de façon rigoureuse, sérieuse, pérenne aussi, les usines de vaccins. Ce n'est pas rien de faire une usine de vaccins. Il faut avoir un écosystème qui soit déjà prêt à accueillir ce type d’infrastructures. C’est pour cela que l’Afrique du Sud est un très bon candidat, le Rwanda aussi, l’Égypte - vous l’avez rappelé - et pour nous, une usine de vaccins, c’est une usine qui fait l’ensemble de la chaîne, pas uniquement du flaconnage aseptisé.
Du remplissage ?
Les exemples que vous avez cités. Je pense qu’il faut donner cette capacité au continent africain, d’être autonome aussi, en matière de fabrication de la substance active, pour pouvoir être totalement maître de son destin. En tout cas, c’est notre ambition à nous, l’Europe.
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