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Titus Edzoa: «au Cameroun, il faut revoir le code électoral»

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C'est la parole d'un ancien prisonnier qui porte aujourd'hui un regard sévère sur le Cameroun. Le professeur de médecine Titus Edzoa a été secrétaire général de la présidence camerounaise. Puis, il a fait 17 ans de prison pour avoir voulu se présenter contre Paul Biya. Il y a huit ans jour pour jour, le 24 février 2014, il a enfin été libéré, en même temps que Michel Atangana. Aujourd'hui, il s'exprime sur le sort des opposants et sur les élections au Cameroun. Il parle aussi de son avenir, pourquoi pas en politique. En ligne de Yaoundé, le professeur Edzoa répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Titus Edzoa (D), ancien ténor du régime camerounais photographié en juillet 2012, quelques mois avant sa deuxième condamnation pour corruption.
Titus Edzoa (D), ancien ténor du régime camerounais photographié en juillet 2012, quelques mois avant sa deuxième condamnation pour corruption. AFP PHOTO
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RFI : Qu’est-ce que ces 17 années de prison ont changé en vous ?

Titus Edzoa : Ces 17 ans… J’ai passé des moments très difficiles sous la férule barbare de mes bourreaux. J’en suis ressorti. Si vous vous souvenez, j’avais pardonné et ce pardon m’a libéré du joug de mes bourreaux. Je suis heureux aujourd’hui d’être libre.

Alors ces 17 ans de prison ne vous ont pas rendu silencieux. Bien au contraire, vous avez écrit plusieurs lettres ouvertes depuis votre libération il y a huit ans. Est-ce que la dernière présidentielle de 2008 a été un combat à la loyale ou pas ?

Dans notre pays, il n’y a jamais de combat à la loyale à ce niveau-là. Il faut revoir le code électoral pour qu’on laisse les gens s’exprimer. Il faut que le Cameroun accède, comme les pays avancés, à ce qu’on appelle la démocratie.

Depuis un an et demi, Olivier Bibou Nissack et 35 autres militants du parti d’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto sont en prison. Ils ont été condamnés à de lourdes peines pour « rébellion et tentative d’insurrection ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est honteux et cela donne la nausée. Je sais de quoi je parle pour avoir payé un fort prix par la barbarie : 17 ans de prison dans un cachot infect. Et après tout cela, ils ne comprennent pas qu’il faut changer les choses. On paie de notre vie. J’aurais été heureux de voir que, pour le sacrifice que j’ai fait, au moins ils aient une petite prise de conscience pour que les choses s’améliorent. Or, après 25 ans, rebelote. C’est vraiment regrettable.

Autre célèbre prisonnier dans votre pays, Marafa Hamidou Yaya, qui a été, comme vous, secrétaire général de la présidence. Est-ce que vous correspondez avec lui ?

Oh, c’est impossible. Il est au siège du secrétariat d’État à la défense, le SED…

Où vous avez été vous-même…

Où j’ai été moi-même. Et on ne peut pas communiquer. Il est là coupé du monde entier. Il est même impossible de lui rendre visite et même de rendre visite aux autres, parce qu’une visite de quelqu’un, qui sait exactement ce qu’il vit, pourrait le réconforter. Mais je profite de cette occasion pour lui dire à lui et aux autres d’avoir de l’espoir. Le rêve, c’est la réalité de demain. Il faut le construire en soi pour que le lendemain puisse se réaliser comme on le souhaite.

En octobre prochain, cela fera 40 ans que Paul Biya est au pouvoir. Quel bilan faites-vous de sa présidence ?

Je relève que l’affadissement des institutions républicaines s’est transformé en véritable incinération. L’État a perdu sa fonction de protecteur, de sécurité. Et en plus de cela, la société est corrompue. C’est une corruption qui est comme organisée. Donc, on est tétanisé.

Le président Paul Biya vient de fêter ses 89 ans. Comment voyez-vous l’après Biya ?

Je ne voudrais pas être un devin ou jouer à Cassandre. Mais je dis qu’il ne faut pas baisser les bras, qu’il faut continuer à œuvrer pour que les Camerounais puissent être à même de reprendre leur destin en mains… qu’ils ont perdu.

Est-ce qu’une guerre des clans pourrait éclater ?

Ah oui, tout peut arriver. C’est une possibilité, parce qu’il y a des clans qui naissent de partout et de nulle part. Et déjà du vivant du président de la République, ils chantent la victoire. Je considère tout cela comme des élucubrations.

Et comment éviter ces présidences à vie ?

La Constitution de 1996 a limité les mandats. Donc, pour moi, dans l’avenir, le premier pas sera de revoir la Constitution et de trouver les termes juridiques qui ne permettent pas qu’on puisse changer, au bon vouloir de ceux qui détiennent le pouvoir, les articles qui leur conviennent.

Vous, professeur, qui avez été candidat à la magistrature suprême il y a 25 ans et qui avez payé pour cela un prix très fort, est-ce que vous y pensez encore, est-ce que vous pourriez être candidat à la prochaine présidentielle en 2025 ?

Je vais vous dire du fond de mon cœur que, pour moi, être candidat ou être président n’est pas une obsession. Je peux l’être, mais ce n’est pas une préoccupation. Si jamais je le devenais, ce serait un aboutissement.

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