Hamza Meddeb: «Il y a un rejet politique en Tunisie, la priorité des gens devient socioéconomique»
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La Tunisie, qui a donné le coup d'envoi des Printemps arabes en 2011, est plongée dans une grave crise politique. En juillet dernier, le président Kaïs Saïed a suspendu le Parlement dominé par le parti Ennahdha. En septembre, le chef de l'État a pris des « mesures exceptionnelles » prolongeant cette suspension et lui permettant notamment de légiférer par décret. La semaine dernière, il a finalement dissous le Parlement. Le président tunisien est-il désormais le seul maître à bord ? Hamza Meddeb, chercheur au centre Carnegie, basé à Tunis, est notre invité.

RFI : Le président tunisien a dissous le Parlement la semaine dernière, huit mois après l'avoir suspendu, pour quelle raison ? Et avait-il encore quelque chose à craindre des députés ?
Hamza Meddeb : La décision du président a été surprenante parce que pendant des mois il s'était engagé, et il l'a répété publiquement, que la Constitution lui interdisait de dissoudre le parlement, et donc dans ce cas il a préféré geler le parlement. Néanmoins, il y a eu un évènement majeur qui a été la décision du bureau de l'Assemblée d'organiser une plénière qui allait justement voter l'abandon de toutes les décisions prises à partir du 25 juillet. Le président a craint un conflit de légitimité, et il a décidé de passer en force, en quelque sorte.
On est maintenant hors cadre constitutionnel ?
On est aujourd'hui hors cadre constitutionnel, il faut le dire, depuis le 25 juillet et depuis surtout le 22 septembre. On peut décrire la situation comme une situation de bricolage. On ne sait pas trop si cette Constitution est définitivement abandonnée ou pas. En tout cas il est clair qu'il y a une instrumentalisation de la Constitution par le président, et on aboutit à une situation telle qu'aujourd'hui ce sont les rapports de forces politiques qui déterminent la situation politique en Tunisie.
De quel soutien Kaïs Saïed bénéficie-t-il aujourd'hui dans la classe politique tunisienne ?
Depuis le 25 juillet, Kaïs Saïed a perdu beaucoup de soutien au sein de la classe politique tunisienne. Il y a quelques partis dont la plupart ne sont pas représentés dans l'ancien Parlement, mais la majorité des partis qui étaient représentés dans le Parlement ne soutiennent pas la démarche du président, jugée complètement solitaire et qui n'augure pas une forme de refondation collective de la scène politique en Tunisie. Donc du coup aujourd'hui le soutien du président c'est un soutien qui se limite essentiellement aux forces sécuritaires, qui continuent bien entendu d'accompagner ce processus.
Et au sein de la population tunisienne, on a l'impression qu'il n'y a pas beaucoup de réactions à cette crise politique. Finalement est-ce qu'il y a un sentiment d'indifférence des Tunisiens ?
Alors oui, il y a certainement un sentiment d'indifférence, il y a un rejet de la politique, la priorité des gens devient de plus en plus socioéconomique, dans un contexte de pénurie, de détérioration du pouvoir d'achat, de montée de l'inflation et des prix. Il y a un réel désenchantement d'ailleurs qu'on retrouve dans la manière dont les Tunisiens jugent l'avenir, ils regardent l'avenir avec beaucoup de pessimisme et considèrent à plus de 60% que le pays prend une mauvaise direction.
Vous diriez que le président Kaïs Saïed est désormais seul aux commandes du pays, ou qu'il reste quand même des contre-pouvoirs ?
Il est clair qu'aujourd'hui le président est seul maître à bord. Il n'y a que la rue aujourd'hui qui peut s'opposer ou être un terrain qui offrirait justement un espace d'expression de ces forces oppositionnelles qui rejettent la démarche du président.
Mais vous le disiez, comme il y a une certaine indifférence de la population tunisienne, il ne se passe pas grand-chose dans la rue finalement ?
Absolument, à partir du moment où le citoyen est désintéressé, désenchanté, il ne se passe pas grand-chose dans la rue tunisienne aujourd'hui. Un des facteurs principaux qui vont déterminer l'avenir du processus politique tunisien va être la situation socioéconomique, et surtout la capacité du président à assurer la solvabilité du pays, à négocier un nouvel accord avec le FMI.
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