Diene Keita: «Les grossesses non intentionnelles sont un frein au développement»
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« La crise oubliée des grossesses non intentionnelles » – c’est-à-dire les grossesses non planifiées – c’est le sujet du rapport annuel du Fonds des Nations unies pour la population (le Fnuap). Sa directrice exécutive adjointe, Diene Keita, est l’invitée de Claire Fages.

RFI : Plus de la moitié des grossesses dans le monde seraient « non intentionnelles », c’est-à-dire non planifiées. C’est un phénomène beaucoup plus vaste que les grossesses précoces ou les grossesses non désirées…
Diene Kaita : Absolument. Ce rapport met le doigt sur une crise qui est extrêmement importante parce que les grossesses non intentionnelles, c’est en fait 400 000 grossesses par jour. Il y a un nombre de femmes qui souhaiteraient éviter une grossesse et qui n’ont pas recours à des méthodes contraceptives modernes et sûres. Il y a aussi près d’un quart de femmes qui ne sont pas en mesure de refuser un rapport sexuel, surtout si elles sont mariées. C’est dû bien sûr aux questions culturelles de chaque région, cela va sans dire, cela a un impact absolument énorme. C’est pour cela que nous travaillons beaucoup au Fonds des Nations unies pour la population avec les leaders traditionnels et les chefs religieux pour nous assurer de sensibiliser les populations. Les violences sont une grande partie dans les causes des grossesses non intentionnelles, mais pas seulement en zones de conflits malheureusement, mais les violences conjugales, les violences en milieu très urbain qui arrivent plus souvent qu’il ne le devrait.
Il y a de fortes disparités entre les régions du monde et l’Afrique est très concernée par ce problème…
Absolument. L’Afrique subsaharienne enregistre trois fois plus de grossesses non intentionnelles que l’Europe ou l’Amérique du Nord. Cela est très clair. On dénombre approximativement 35 grossesses non intentionnelles par an pour 1 000 femmes de 15 à 49 ans en Europe et en Amérique du Nord sur la période 2015-2019, 64 pour 1 000 en Asie centrale et Asie du Sud et 91 pour 1 000 en Afrique subsaharienne. Vous voyez les différences que cela fait. L’Ouganda enregistre l’incidence estimée de grossesses non intentionnelles la plus élevée en Afrique.
Les conséquences de ces grossesses non intentionnelles sont graves et elles sont d’abord sanitaires…
Absolument. C’est un enjeu sanitaire d’abord. Plus de 60% des grossesses non intentionnelles se soldent par un avortement souvent non médicalisé. Or, ces avortements pratiqués dans de mauvaises conditions sont véritablement l’une des principales causes de mortalité maternelle. Les coûts pour les systèmes de santé s’élèvent à 2,8 milliards de dollars dans les services d’avortement et les soins post-avortement chaque année. Et ces coûts pourraient être diminués de moitié si les besoins en matière de contraception étaient véritablement complètement satisfaits. Cela peut aboutir aussi à des grossesses à risque qui doivent être prises en charge par les systèmes de santé. Et ce que l’on ne dit pas, ce sont les conséquences sur la santé mentale. Et pour cela, il n’y a pas de coût pour estimer cela, parce que ça détruit des vies, ça a un impact énorme qu’on ne peut pas calculer et qui forcément va avoir une répercussion sur la société et sur le développement en général de ces régions-là.
C’est ce que souligne le rapport, l’impact des grossesses non intentionnelles sur le développement…
Exactement. Nous invitons à travers ce rapport les pays à tenir compte dans leur programmation de développement de ces grossesses non intentionnelles qui coûtent cher à la société, qui coûtent cher au budget de développement des pays quand il n’est pas pris en compte, parce que ces ressources qui sont gaspillées peuvent contribuer à plus d’éducation et à plus de services sociaux et de protection de la famille, de la mère et de l’enfant.
Quelles sont les mesures à mettre en place pour qu’il y ait moins de grossesses non intentionnelles ?
Un, renforcer le système de santé. Deux, renforcer le système de mise à disposition de moyens de contraception à tous les niveaux, et l’éducation aussi bien familiale, scolaire que sociale par l’éducation civique, sur les questions sexuelles et familiales. C’est véritablement important. Est-ce que la femme est au courant de ce que c’est une grossesse ? Est-ce qu’elle sait quelles sont les conséquences ? Ça, c’est la première partie. Ensuite, il y a quelque chose qui manque énormément aujourd’hui, c’est l’éducation sexuelle complète, qui doit exister de manière formelle ou informelle, qui doit exister partout. Et enfin, le dialogue et la conversation entre partenaires dans un couple parce que bon nombre de grossesses non intentionnelles surviennent au sein de couples où l’information n’est pas partagée entre partenaires. Ce qui soulève une question aussi pertinente : est-ce que l’homme aussi est informé des pronostics de la grossesse non intentionnelle ? Donc, cette éducation sexuelle complète doit s’adresser à tout le monde.
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