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Prisons en Afrique: «On peut parler d'un mal enfermement»

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En Afrique comme dans le reste du monde, le monde des prisons attire peu l'attention. Laissé sur le côté, refoulé, il est souvent décrit à coups de clichés. C'est pour rompre avec ces images très imparfaites qu'un groupe de chercheurs vient de publier « L’Afrique en prisons » chez ENS Éditions, à partir d'enquêtes réalisées dans dix pays. Frédéric Le Marcis est l'un des deux directeurs de cet ouvrage. Il est l’invité de Laurent Correau.

Vue générale du centre correctionnel d'Estcourt, en Afrique du Sud, le 8 juillet 2021.
Vue générale du centre correctionnel d'Estcourt, en Afrique du Sud, le 8 juillet 2021. © AFP
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RFI : La première chose à retenir sur les situations carcérales en Afrique, c’est d’abord leur très grande diversité. Il y a des pays où l’on enferme peu, d’autres où l’incarcération est plus importante. Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples de qui compose ces deux groupes ?

Frédéric Le Marcis : Effectivement, l’Afrique est diverse dans ses expériences d’incarcération. Le Rwanda postgénocide présente un taux d’incarcération de 145 détenus pour 100 000 habitants. Ce qui est très important et qui est en fait le produit de l’histoire. Puisque dans les prisons rwandaises, il y a encore beaucoup de personnes qui ont été incarcérées suite au génocide. Alors que le Sénégal, par exemple, a un taux d’incarcération qui est de 68 détenus pour 100 000 habitants. On peut penser aux Seychelles qui présentent un taux d’incarcération de 287 détenus pour 100 000 habitants, qui est le résultat d’une politique extrêmement sévère et répressive concernant l’usage de stupéfiants, alors que la Guinée, elle, présente un taux d’incarcération de 28 détenus pour 100 000 habitants.

Vous revenez dans l’un des chapitres sur le problème de la détention provisoire, la détention de personnes qui n’ont pas encore été jugées et qui seront d’ailleurs peut-être innocentées. On est frappé par les chiffres que vous citez : à la maison centrale de Conakry, 63% des détenus sont en attente de jugement dont 16% depuis plus de cinq années…

Oui. Pourquoi cela ? Simplement parce que la justice, d’une part, est trop lente, mais aussi parce que certains détenus entrent en prison sans être présentés à un juge et vont rester plusieurs années en prison sans voir le juge. J’ai observé ce type de situation en Côte d’Ivoire également, où des détenus vont finir par sortir de prison sans jamais avoir été inculpés.

Alors dans différents pays africains, il y a une réflexion qui s’est engagée sur le problème du mal enfermement. Pourquoi parle-t-on de mal enfermement ?

La question en fait qui se pose, ce n’est pas : est-ce qu’on met trop de gens en prison en Afrique, mais c’est qu’on les enferme mal ? On peut parler de mal enfermement au moins pour deux raisons. D’abord du point de vue des conditions d’enfermement, à savoir les conditions d’alimentation et de soins dans les prisons africaines, et également l’échelle de la prison, s’il l’on croit au projet réformateur de la prison qui est donc finalement de transformer officiellement des délinquants en bons citoyens. Le peu de personnes enfermées en prison, c’est plutôt pour eux une expérience de désaffiliation sociale : ils sont coupés de leur famille, ils ne sont pas pris en charge par l’État et ils n’ont pas non plus accès à des formations qui pourraient leur permettre de se projeter différemment à leur sortie. Ces problèmes sont, il faut le dire, consubstantiels de la prison dans le monde.

Donc, il y a cette réflexion sur le mal enfermement qui existe sur le continent, qui est portée par qui ?

Elle est portée par les acteurs classiques de la question carcérale, on pense notamment au CICR [Comité international de la Croix-Rouge] et aussi par les détenus eux-mêmes. Nous montrons dans notre travail la façon au Cameroun dont les détenus eux-mêmes essaient de faire valoir leurs droits. Il y a un autre acteur qui est également important à souligner, c’est tous les membres de l’administration pénitentiaire qui ont été embarqués, à un moment de leur carrière, auprès de l’ONU pour gérer des prisons de l’ONU, qui en Haïti, au Congo, et qui de retour dans leur propre pays, deviennent des réformateurs parce qu’ils incarnent par leur pratique une manière différente de gérer la prison.

Est-ce qu’on voit déjà des alternatives à l’emprisonnement offrir des solutions prometteuses dans certains pays ?

Oui. Il y a la mise en place de maisons de justice dans les quartiers qui visent à avoir une garantie, en tout cas d’une forme d’équité dans la façon de dire le juste. On doit aussi reconnaître des programmes d’introductions des TIG, des travaux d’intérêt généraux. Ceux-ci rencontrent cependant des difficultés, il ne suffit pas qu’un juge donne une peine d’un travail d’intérêt général, il faut qu’il y ait dans les sociétés concernées, des structures capables d’accueillir ces personnes pour les travaux d’intérêt généraux. On doit également souligner la possibilité de commissions vérité et réconciliation. Le problème des commissions vérité et réconciliation, c’est que bien souvent, elles éludent le problème de la réparation en termes financier pour les victimes des crimes commis.

« L’Afrique en prisons » est publié par ENS Editions, de Frédéric Le Marcis et de Marie Morelle.

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