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Pierre Audin: «Il faut faire un travail de vérité en ce qui concerne la guerre d'Algérie»

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Le 5 juin, il a assisté à Alger à l’inauguration d’un buste à l’effigie de son père sur la place qui porte son nom. Pierre Audin est le fils du mathématicien Maurice Audin, militant communiste, torturé puis assassiné par l’armée française en 1957 en pleine guerre d’Algérie. En 2018, Emmanuel Macron avait reconnu que cet assassinat avait été pratiqué « au nom de la République française ». Aujourd’hui, alors qu’il vient d’obtenir son passeport algérien, Pierre Audin appelle l’État français à faire la lumière sur les crimes coloniaux.

Le mathématicien et militant communiste Maurice Audin. En 2018, Emmanuel Macron a reconnu qu'il avait été torturé puis assassiné par l’armée française en 1957 durant la guerre d’Algérie.
Le mathématicien et militant communiste Maurice Audin. En 2018, Emmanuel Macron a reconnu qu'il avait été torturé puis assassiné par l’armée française en 1957 durant la guerre d’Algérie. © AFP
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Vous jugez que la vérité sur les crimes coloniaux est plus importante que les excuses de la France. Cette vérité, vous pensez qu’on la connaîtra un jour ?

Pierre Audin : Il y a beaucoup de travail à faire pour faire la vérité sur tous les aspects des crimes coloniaux en particulier pendant la guerre de libération nationale, mais aussi avant pendant toute la période de la colonisation. Par exemple, pour la période de la guerre de libération nationale, avec nous, dans la délégation de l'Association Josette et Maurice Audin qui est allée en Algérie, il y avait un historien qui travaille sur l’utilisation des armes chimiques dans les grottes, les casemates, les réseaux souterrains, et ça, c’est quelque chose qui est en train de se découvrir, mais ça correspond à un gros travail pour les historiens à l’heure actuelle.

En décembre 2021, la France a ouvert, avec 15 ans d’avance, ses archives sur les enquêtes judiciaires de la guerre d’Algérie. C’est un pas qui va dans le bon sens, selon vous ?

Oui, cela va dans le bon sens, mais en même temps, il y a des pas qui vont dans le mauvais sens, mais disons que sur cet aspect des choses, c’est un pas qui va dans le bon sens. On aimerait que vraiment toutes les archives soient ouvertes. L’Algérie s’apprête à fêter le soixantième anniversaire de son indépendance, ça va, on peut peut-être vraiment ouvrir les archives et pas seulement un petit morceau ici, un petit morceau-là.

Vous faites partie du collectif Secret défense-Un enjeu démocratique. Ce collectif estime que via le secret défense, l’État français, au lieu d’assumer ses responsabilités, use de manœuvres diverses pour entraver la recherche de la vérité et pour empêcher que justice soit rendue aux victimes…

Je pense que c’était un gros progrès de la Révolution française, le fait de permettre l’accès aux archives pour les citoyens. C’est quelque chose qui est difficile à accepter par le pouvoir quel qu’il soit, mais c’est quelque chose de parfaitement légitime. Donc, il faut s’y mettre, il faut accepter. Il faut faire la vérité sur un certain nombre d’affaires en permettant l’accès aux archives. Les archives ne disent pas tout, mais les archives disent beaucoup de choses.

Pour revenir à la guerre d’Algérie, est-ce que vous estimez que les Algériens jouent le jeu en matière d’ouverture des archives ?

La délégation de l'Association Josette et Maurice Audin a rencontré le ministre des Moudjahidine [Laïd Rebigua] qui nous a reçus et qui nous a donné quelques garanties sur le fait par exemple qu’il allait suivre toutes les pistes pour mener les investigations permettant de retrouver les restes des corps de Maurice Audin, mais aussi de tous les disparus. Et de ce point de vue-là, l’Algérie est en train de faire aussi un travail, pas de la même façon que la France avec le rapport Benjamin Stora. Le rapport équivalent en Algérie, on l’attend toujours. Il y a été commandé en même temps que celui de Benjamin Stora. Benjamin Stora a rendu sa copie depuis un moment déjà quand même… Du côté algérien, on ne voit rien venir, mais il n’empêche qu’il y a quand même des avancées qui sont en train de se faire.

Ce dossier mémoriel suscite encore, 60 ans après l’indépendance, des tensions récurrentes entre Paris et Alger. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a un certain nombre de lobbies qui poussent, tant que les questions mémorielles ne sont pas vraiment attaquées de front des deux côtés, par la France et par l’Algérie. C’est vrai qu’il reste des traumatismes qui perdurent dans la descendance des gens qui ont vécu cette période, dans les familles de pieds-noirs par exemple, dans les familles de militaires. Il y a un passé qui a du mal à passer justement. Et donc, oui, il faut faire un travail de vérité en ce qui concerne tous les aspects de la guerre d’Algérie et tous les aspects de la colonisation de l’Algérie. Tout cela, ce sont des choses qui sont importantes à faire. Il ne s’agit pas simplement de dire : ‘on a fait des erreurs, on s’excuse’, et on passe à autre chose. Il s’agit de dire la vérité sur tous les aspects de cette colonisation et de cette guerre. Il y a des choses qui ne sont toujours pas dites d’un côté comme de l’autre, il faut le dire. Il faut avancer. Quand on aura fait la vérité, la façon dont les historiens parleront de cela en France et en Algérie, il y aura certainement des divergences sur la façon d’en parler. Mais au moins, on aura les éléments qui permettront de faire le discours historique.

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