Bobi Wine: «Poutine et Museveni sont semblables, ils ne croient pas en la démocratie»
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« L’injustice où qu’elle se trouve est une menace pour la justice partout dans le monde. » Ce sont les propos du chanteur et opposant ougandais Bobi Wine en soutien au peuple ukrainien. Alors que plusieurs pays africains ont refusé de dénoncer l’invasion russe, le célèbre opposant, lui, ne mâche pas ses mots. Il rentre d’une visite à Kiev pour montrer « la solidarité de l’Afrique avec tous les peuples victimes de dictateurs ».

RFI : Pourquoi vous êtes-vous rendu en Ukraine ?
Bobi Wine : Je suis allé en Ukraine parce que je voulais montrer que l’Afrique est solidaire du peuple opprimé d’Ukraine. L’Afrique n’est pas solidaire avec l’autoritarisme. Il y a une fausse idée du continent véhiculé sur la scène internationale, un récit selon lequel l’Afrique est du côté de Poutine. J’ai voulu tordre le cou à ce cliché. Ce n’est pas parce que certains dirigeants autoritaires se rangent du côté de Poutine que le peuple africain soutient l’invasion russe. Pendant trop longtemps, le peuple africain a été mal représenté dans les médias. Je suis donc allé représenter l’Ouganda en tant que président légitimement élu de ce pays. Et je crois que je représente la voix des Ougandais, mais aussi le récit africain, la vraie position du peuple africain.
L’Ouganda, par la voie de son président, s’est abstenu de condamner l’agression contre l’Ukraine à l’ONU pour « préserver sa neutralité ». Que pensez-vous de cette position ?
En faisant semblant d’être neutre, le général Museveni cautionne indirectement l’invasion de la Russie contre l’Ukraine. Cependant, son fils, le général Muhoozi Kainerugaba, a publiquement donné la position officielle du régime ougandais, qui soutient pleinement la Russie, au mépris absolu du droit international et, bien sûr, du respect des droits humains.
Pour certains observateurs, votre voyage en Ukraine serait une manière de booster votre popularité après votre défaite à l'élection présidentielle en Ouganda, ont-ils raison ?
Eh bien, si le fait de défendre ce qui est juste me rend populaire, alors je l’assume. Si me tenir aux côtés d’autres peuples opprimés me rend populaire, alors tout le monde devrait s’inspirer de ma démarche et chercher la popularité. Lorsque vous voyez quelqu’un faire ce qui est juste, il faut l’applaudir, et pas le condamner.
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Quel est le bilan de votre visite en Ukraine ?
J’ai rencontré plusieurs dirigeants, dont l’ancien président et l’ancien Premier ministre du pays. J’ai visité les villes de Kiev, Boutcha, et d’autres zones qui ont été attaquées et occupées pendant un certain temps, avant d’être libérées. J’ai également établi des liens avec des artistes ukrainiens. Et nous avons utilisé ce que nous croyons être la meilleure arme contre la guerre : l’art. C'est-à-dire la créativité et la musique. Nous avons enregistré d’ailleurs deux chansons en solidarité avec le peuple ukrainien. L’une d’entre elles est déjà sortie, et l’autre va bientôt sortir.
La chanson « Alone But Altogether » autrement dit « Seul mais ensemble ? » Quel message avez-vous voulu transmettre ?
Le peuple ukrainien est en première ligne, mais tous ceux qui croient en l’intégrité territoriale et l’autodétermination sont aux côtés de l’Ukraine et, le bien l’emportera sur le mal. Donc, même s’ils sont peut-être seuls sur la ligne de front, nous sommes tous ensemble en esprit.
Le président russe Vladimir Poutine a salué l’indépendance des pays africains vis-à-vis de l’Occident — par exemple aucun pays africain ne s’est associé aux sanctions russes—. En soutenant l’Ukraine, ne prenez-vous pas le risque d’être qualifié de « marionnette de l’Occident » ?
Nous sommes contre toute forme de domination, qu’elle vienne de l’Ouest, de l’Est ou d’ailleurs. Pendant longtemps, les tyrans d’Afrique ont qualifié d’impérialisme tout ce qui remet en cause leur impunité et leur mauvaise gestion. Par exemple, le général Museveni m’a accusé de faire du néocolonialisme à chacune de mes interactions et même quand j’ai fait preuve de coopération avec la communauté internationale. Il a fait tout son possible pour me dépeindre comme un agent de l’Occident. Et moi, je leur dis que je suis un agent des valeurs, et que ces valeurs-là ne connaissent pas de frontières...
Faites-vous un parallèle entre le drame du peuple ukrainien et la situation du peuple ougandais ?
Le peuple ukrainien se bat pour son intégrité territoriale et sa liberté. Les Ukrainiens se battent pour maintenir leur indépendance face à un dictateur. Ils sont confrontés à un homme fort, à un leader autoritaire qui n’est pas différent de celui que nous avons ici en Ouganda. Poutine et Museveni sont semblables. Ils ne croient pas en la démocratie. Ils croient tous les deux à l’autoritarisme. Ils croient qu’ils sont les seuls capables de déterminer l’avenir de leur pays. Ils gouvernent par la peur. Ils sont violents. Ils ne croient pas au dialogue. Ils croient à l’oppression.
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Qu’est-ce que vous espérez tirer de cette démarche en faveur de l’Ukraine ?
Je suis content que le peuple ukrainien ait reçu l’attention de la communauté internationale, c’était mérité. Mais j’espère que tous les autres peuples opprimés du monde recevront la même attention, car ce qui se passe en Ukraine se passe en Ouganda depuis 36 ans. Et nous appelons la communauté internationale à se désolidariser complètement de tous les tyrans, pas seulement de quelques-uns. De la même manière qu’ils se désolidarisent de Poutine et de ses politiques répressives contre le peuple ukrainien, ils devraient se désolidariser de Yoweri Museveni, qui fait la même chose, voire pire, contre le peuple ougandais. Ce qui se passe en Ukraine nous montre et nous rappelle que toutes les vies comptent et que tous les opprimés doivent bénéficier de la même attention.
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