Yuri Pyvovarov: «Avec l’Afrique, l’Ukraine rattrape le temps perdu»
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Depuis que la Russie a attaqué l'Ukraine, le 24 février 2022, les diplomates de ces deux pays se livrent à une compétition acharnée en Afrique. Russes et Ukrainiens multiplient les voyages et les coups de téléphone pour essayer de gagner le soutien de tous les pays africains. Qui a le plus d'influence ? Avec quels atouts ? Entretien avec Yuri Pyvovarov, ambassadeur d'Ukraine auprès du Sénégal et de quatre autres pays d'Afrique de l'Ouest.

Un an après le début de cette guerre, près de la moitié des États africains refusent de qualifier le conflit comme une agression de la Russie contre votre pays. Est-ce que ce n’est pas, pour vous, une source de déception ?
Yuri Pyvovarov: En effet. Aujourd’hui, malheureusement, il est difficile de dire que tous les pays africains comprennent les causes et surtout les conséquences de la guerre russe contre l’Ukraine. C’est sûr. Je suis également d’accord que la Russie dispose également aujourd’hui d’un capital de sympathie plus puissant en Afrique que l’Ukraine. Mais je peux également vous dire qu’aujourd’hui, la situation est différente. Croyez-moi, depuis le 24 février 2022, je peux constater qu’un certain nombre de pays du continent africain se réveillent et commencent -prudemment pour l’instant, il faut le reconnaître-, à comprendre la situation réelle. Le nombre a augmenté et c’est un fait indiscutable. À mon avis, il ne faut pas avoir peur des envahisseurs russes.
Depuis le début de ce siècle, grâce à ses relations avec l’ANC d’Afrique du Sud, grâce à la coalition des pays des Brics [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud], la Russie occupe une place importante sur l’échiquier africain. Est-ce que l’Ukraine n’a pas négligé l’Afrique ces vingt dernières années ?
Je vous dis que oui. Il faut reconnaître que nous, l’Ukraine, nous avons perdu beaucoup de temps, surtout en matière de dialogue avec l’Afrique, c’est sûr. Mais ces dernières années, nous allons dans la bonne direction. Par exemple, au cours de cette seule année écoulée, depuis le 24 février 2022, le président Volodymyr Zelensky a eu 24 conversations téléphoniques avec les dirigeants des pays africains. Il y a deux ans, il n’y en avait que trois seulement. Donc, on rattrape le temps perdu. Et en plus, il est évident que nous devons renforcer notre présence diplomatique en Afrique. Le président Volodymyr Zelensky a récemment décidé d’ouvrir dix ambassades ukrainiennes en Afrique.
Vous avez combien d’ambassades actuellement en Afrique ?
Dix ambassades et il y en aura encore dix autres. Au total, j’espère bien qu’en 2023, nous aurons une vingtaine d’ambassades. C’est déjà quelque chose.
Pour beaucoup d’Africains, l’un des atouts de la Russie est que ce pays, à la différence de la France ou de la Grande-Bretagne, n’aurait jamais été une puissance coloniale et n’aurait pas de visée impérialiste en Afrique. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas d’accord. Certains pays africains commencent déjà petit à petit à la conclusion que la Russie est effectivement un pays colonisateur. Je parle entre autres des soi-disant services militaires du groupe terroriste appelé Wagner.
Vous parlez du groupe Wagner, mais n’est-ce pas justement un atout pour la Russie puisque, avec ce groupe, elle peut offrir son assistance sécuritaire à un certain nombre de régimes, en Centrafrique et au Mali par exemple ?
À mon avis, c’est le syndrome de l’ex-URSS, puisque les ambitions impériales de Vladimir Poutine, on les connaît très bien. Son choix s’est aujourd’hui principalement porté sur l’Afrique, où l’URSS avait autrefois bien sûr une influence significative. Parce qu’on voit que les Wagner se comportent là comme chez eux. Et c’est le début de cette colonisation, pas seulement au niveau sécuritaire, mais également économique et politique.
Il y a deux mois, en décembre 2022, selon notre confrère le journal Le Monde, lors du sommet de Washington, les États-Unis ont proposé au président centrafricain Faustin Archange Touadéra un plan en douze mois pour évincer de Centrafrique les miliciens Wagner et pour les remplacer par des militaires américains et par une aide économique et humanitaire des États-Unis. Qu’en pensez-vous ?
Il est tout à fait évident que les Wagner sont l’un des éléments ou des instruments d’influence sur les dirigeants des différents pays africains. En outre, les représentants de ce groupe commencent déjà à se sentir chez eux dans certains pays du continent. Je ne comprends pas la position de ces pays et je pose toujours la même question à mes collègues africains : ne voient-ils pas qu’il s’agit de criminels, vraiment, qui gagnent de l’argent en tuant des gens ? Donc, à mon avis, ils devraient être expulsés. Quant aux États-Unis, je suis convaincu qu’ils offriront à ce pays une aide plus importante et plus efficace, humanitaire, économique, sécuritaire, que la Russie, dont l’économie continue, ça se voit, de décliner sous l’effet des sanctions internationales.
Mais quand vous voyez tous les pays que visite en Afrique le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, est-ce que vous ne craignez pas qu’au mois de juillet prochain, à Saint-Pétersbourg, lors du prochain sommet Russie-Afrique, il y ait beaucoup de chefs d’États africains ?
Oui. Il y en aura beaucoup, mais je pense qu’il y aura moins de chefs d’États et de gouvernement que lors du dernier sommet Afrique-Russie de Sotchi, en 2019, puisque mes sources, mes contacts me disent que, petit à petit, certains pays commencent déjà à réfléchir, à évoluer. On verra.
Est-ce que l’Ukraine envisage un sommet avec l’Afrique ?
Pour l’instant, oui, bien sûr. Nous avons une idée, nous travaillons là-dessus. Une conférence peut-être. Bien sûr, on réfléchit à la tenue de cet événement.
Cette année 2023 ?
Oui, je pense bien ou, au plus tard, au premier trimestre de l’année prochaine.
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