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Retrait de la Minusma du Mali: «Une position démagogique visant à plaire à la base souverainiste du pays» estime le chercheur Yvan Guichaoua

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Le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop a demandé hier, vendredi 16 juin, devant le Conseil de sécurité de l'ONU le retrait « sans délai » de la Minusma du pays. Dix ans après son lancement en 2013, la mission de paix des Nations unies au Mali n'a pas pu apporter de « réponses adéquates à la situation sécuritaire au Mali », selon le chef de la diplomatie malienne. Comment interpréter cette annonce ? Quelles peuvent être ses conséquences ? Décryptage avec Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel.

Casques bleus de la Minusma au Mali (photo d'illustration).
Casques bleus de la Minusma au Mali (photo d'illustration). REUTERS/Adama Diarra
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RFI : L'annonce du ministre malien des Affaires étrangères est-elle l’aboutissement d’un processus logique ou, au contraire, une surprise ?

Yvan Guichaoua : En fait, le timing de la décision est quand même très abrupt et très imprévu. Moi, je ne crois pas que qui que ce soit ait pu imaginer un scénario aussi brutal. On ne pouvait pas la prévoir si rapidement, même si on peut largement estimer que la décision qui a été prise est dans la continuité des décisions déjà prises à l’égard de la Minusma au cours des derniers mois - notamment les restrictions de circulation, les restrictions de survol, ce genre de choses - qui réduisaient de plus en plus le périmètre d’activité de la Minusma. Donc là, on arrive à la décision ultime qui est celle de chasser la Minusma du pays.

La demande de départ de la Minusma intervient à deux jours du référendum constitutionnel qui va se tenir au Mali. Est-ce que c’est un hasard du calendrier ? Ou une volonté du régime d’affirmer une position souverainiste ?

Une position souverainiste et surtout une position démagogique, qui va plaire à la base souverainiste du pays et qui améliore peut-être les chances du « oui » de l’emporter. Il n’y a pas énormément de suspense sur le fait que le « oui » l’emporte, mais peut-être que ça va donner quelques pourcentages supplémentaires pour pouvoir faire de ce référendum un plébiscite, ce qui est un peu l’enjeu de ce référendum. Le timing n’a pas l’air innocent.

D’un point de vue logistique, dans quelles conditions va se dérouler le départ de la Minusma ?

Il y a déjà une conversation d’ordre un petit peu technique à avoir, parce que même si la demande de départ de la Minusma doit être exécutée « sans délai », dans la bouche du ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, concrètement ça ne peut pas se faire en quelques semaines, ni même en quelques mois. On a peut-être devant nous un an ou deux d’opérations logistiques très compliquées pour que la Minusma s’en aille. La Minusma ne va pas partir du jour au lendemain, donc il va y avoir d’autres négociations. Peut-être que le « sans délai » est un petit peu là pour dramatiser les choses, afin que les paramètres de la négociation qui va devoir avoir lieu nécessairement soient fixés par le Mali.

Sur le terrain, quelles seront les conséquences sécuritaires du retrait de la Minusma ?

Elles sont de plusieurs ordres. La première, c’est que l’accord de paix et de réconciliation avec les mouvements signataires et la plate-forme, est quand même assez mis en péril dorénavant, donc je suis assez curieux de voir comment les ex-mouvements séparatistes signataires de cet accord de paix vont réagir, parce que la Minusma garantissait quand même un dialogue entre les anciens mouvements séparatistes et Bamako. Ça, c’est le premier élément. Le deuxième élément, c’est celui qui concerne la protection des villes secondaires. Il y a des bases de la Minusma un peu partout dans le pays qui protègent les habitants. Si ces bases-là sont démantelées, que deviennent ces populations ? Elles vont être certainement beaucoup plus vulnérables. Et puis, il y a un troisième élément, qui est que la Minusma était quand même dotée d’une mission d’investigation dont le job était de documenter les atrocités et les violations des droits de l’Homme, et ce job-là ne sera plus rendu possible du fait de la décision malienne. Il a déjà été très très compliqué ces derniers mois, là, cette fois, c’est définitivement enterré.  

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