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Niger: «Cette tension entre dialogue et intervention militaire détourne des questions importantes»

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Quatre jours après la fin de l'ultimatum lancé aux putschistes à Niamey, et après des tentatives pour l'instant infructueuses de médiation, les chefs d'État de la Cédéao se réunissent ce 10 août en sommet extraordinaire à Abuja, le siège de l'organisation ouest-africaine. Entretien avec Jean-Hervé Jézéquel, directeur du Projet Sahel à l'International Crisis Group (ICG).

Les chefs d'état-major des pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), à l'exception du Mali, du Burkina Faso, du Tchad, de la Guinée et du Niger, posent pour une photo de groupe lors de leur réunion extraordinaire à Abuja, au Nigeria, le vendredi 4 août 2023, pour discuter la situation au Niger.
Les chefs d'état-major des pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), à l'exception du Mali, du Burkina Faso, du Tchad, de la Guinée et du Niger, posent pour une photo de groupe lors de leur réunion extraordinaire à Abuja, au Nigeria, le vendredi 4 août 2023, pour discuter la situation au Niger. © AP/Chinedu Asadu
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La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se réunit en sommet extraordinaire à Abuja au sujet du Niger, au lendemain du rejet de la médiation Cédéao-Union africaine-ONU par la junte à Niamey. Quelle place l’organisation régionale donne-t-elle respectivement à la diplomatie et à l’option militaire ?

Jean-Hervé Jézéquel : La Cédéao considère l’option militaire comme la dernière option envisageable. Elle sait que ce sera difficile, incertain, elle sait même que ça peut être dangereux, voire contreproductif. Elle n’abandonne pas la menace d’une intervention, mais la Cédéao et d’autres acteurs dans la région préfèrent concentrer leur énergie sur le dialogue.

Les États membres de la Cédéao ont-ils un front uni vis-à-vis de la crise nigérienne ?

Non. Évidemment, ils ne sont pas unis. Il y a presque deux types de fracture aujourd’hui dans cette Cédéao. D’abord, il y a le plus évident, la fracture qui oppose d’un côté les régimes militaires, en particulier la triade Mali-Burkina Faso-Niger qui tente de former un front commun, puis de l’autre, les régimes civils qui craignent la contagion des coups d’État et qui prônent donc une ligne de fermeté dans cette affaire. Mais il me semble qu’il y a aussi une seconde division qui semble se développer au sein même des régimes civils. Il y a en quelque sorte les inflexibles qui exigent le retour de Mohamed Bazoum au pouvoir, qui considèrent sérieusement l’option militaire, même si encore une fois, ils en craignent les conséquences, le Nigeria, en tout cas le chef d’État, est sans doute de ce côté-là. Et puis, peut-être ceux qui pensent que le retour en arrière n’est plus possible, peut-être du côté du Togo, du côté aussi du Sénégal où on voit des voix discordantes qui essaient d’appeler à un peu plus de dialogue. Mais sur ce point, cette tension entre option militaire et dialogue, c’est un débat qui détourne des questions plus importantes à se poser en ce moment. Quelle est la situation du Niger aujourd’hui ? Il est prisonnier d’une lutte implacable entre d’un côté les pro-Bazoum qui ont pour eux la légitimité des urnes et de l’autre côté, le camp des putschistes, les pro-CNSP [Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, NDLR], qui tirent leur légitimité des armes et de la rue. Même si on ne met pas ces deux camps sur un même pied d’égalité du point de vue de leur légitimité, il devrait y avoir des voix pour dire aujourd’hui : l’enjeu est trop important pour être confié à un seul de ces camps, et surtout pas à quelques individus.

Le retour au pouvoir de Mohamed Bazoum est-il d’après vous encore une éventualité ?

En tout cas, je crois que sa libération reste une éventualité et surtout qu’elle doit continuer à être exigée. Après, son retour au pouvoir, c’est une autre question et cela apparaît de plus en plus problématique après 15 jours de crise. Et puis, surtout s’il était libéré par une armée étrangère, beaucoup doutent de la légitimité que pourrait conserver le président Mohamed Bazoum. Même restauré au pouvoir, il devra considérer une période de transition pendant laquelle il devra savoir rassembler, réconcilier les Nigériens. Et c’est pour cela, quelle que soit l’issue personnelle pour le président Bazoum, une partie des négociations se focalise de plus en plus sur la forme que pourrait prendre une transition acceptable aux yeux du plus grand nombre.

De côté des acteurs politiques nigériens, on apprend la création d’un Conseil de résistance pour la République (CRR) par Rhissa Ag Boula, un ancien chef de la rébellion touarègue qui était devenu ministre d’État du président Bazoum. Quelle portée donner à cette initiative ?

C’est encore trop tôt pour savoir exactement quelle réalité va prendre cette initiative. Et à mon sens, elle ne semble pas de bon augure. Elle fait partie au fond des solutions qui veulent recourir à un moment ou à un autre à la force des armes. Et je crois que justement le moment précis actuellement, c’est de privilégier à nouveau le dialogue.

Quelles sont au fond les racines du mal au Niger ? Le chef des putschistes, le général Abdourahamane Tiani, évoquait la dégradation de la situation sécuritaire et la mauvaise gouvernance économique et sociale. Ce bilan négatif fait-il consensus dans la population au Niger ?

C’est une question intéressante parce qu’on a eu longtemps le sentiment que le Niger s’en tirait relativement mieux que ses voisins sur la question de la sécurité, en particulier, et même, d’une certaine manière aussi, de la gouvernance politique, puisqu’il y avait eu une élection, puis une succession pacifique à la tête de l’État nigérien. Du point de vue de la sécurité, il y avait des arguments aussi assez concrets pour affirmer le fait qu’il y avait moins d’attaques au Niger qu’il y en avait par exemple au Mali ou au Burkina Faso. Mais les perceptions locales sont sans doute différentes. Si les attaques des groupes jihadistes ont diminué ces dernières années, ces groupes jihadistes continuent de circuler, notamment dans le sud-ouest du territoire, dans les zones rurales où ils prélèvent l’impôt, et donc où ils pèsent sur la population. Et oui, au niveau du système démocratique quand même, comme on le dit souvent, il y a une forme d’essoufflement et en particulier, il semble de plus en plus incapable d’offrir des perspectives suffisantes à une jeunesse, notamment une jeunesse urbaine, qui n’a connu au fond que la démocratie installée dans ce pays depuis trois décennies, qui n’a plus confiance dans ce système-là, dans les élites dirigeantes et dans le type d’alliances qu’elles ont contractées avec les pays occidentaux. Et c’est ce rejet-là qui s’exprime aussi dans la rue aujourd’hui.

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