Afghanistan: «C’est surtout l’ordre taliban qui va s’abattre sur Kaboul»
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Firouzeh Nahavandi, professeure à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste de l’Asie du Sud-Ouest, auteure de Afghanistan (éditions de Boeck) analyse la situation en Afghanistan.
Est-ce qu’aujourd’hui, 20 après, on est à la case départ ?
D’une certaine manière, on peut se dire que qu’effectivement, on est à la case départ, c’est-à-dire qu’on est dans une situation assez proche de ce qui s’est passé il y a vingt ans, et déjà en 1996, lorsque les talibans sont rentrés à Kaboul et ont contrôlé tout le pays. Oui, en effet, c’est comme s’il ne s’était plus rien passé.
Est-ce qu’aujourd’hui, les talibans sont à la tête de tout le pays ou il y a encore des petites poches de résistance ?
Des poches de résistance, il y en a un peu partout dans le pays. Il y a aussi des manifestations qui ont lieu dans le pays contre l’avancée des talibans, mais de fait les talibans contrôlent presque tout le pays. Lorsque Kaboul tombera, et il n’y a pas de doute que Kaboul va tomber, ils contrôleront tout le pays.
Parlons de Kaboul où beaucoup d’Afghans ont trouvé refuge, Kaboul qui est en train de tomber aujourd’hui. Quelle est la situation de cette capitale qui devait résister ?
La situation est assez catastrophique à Kaboul puisque la population est de manière générale terrorisée par l’arrivée des talibans. On est dans une situation d’entre-deux puisqu’il y a encore les forces américaines qui protègent leurs ressortissants, leur ambassade. Il y a encore les forces étrangères qui sont en train de rapatrier leurs ressortissants. Néanmoins, les Afghans eux-mêmes sont tout à fait dépourvus de toute force pouvant les protéger.
C’est ça le drame de Kaboul, c’est que les Afghans vont être laissés à eux-mêmes une fois que les Américains seront partis, s’ils partent vraiment totalement. Une fois que les forces étrangères ne protègeront plus la capitale et leurs ressortissants, les Afghans peuvent se demander ce qui va leur arriver et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle autant d’Afghans essaient de sortir du pays, soit vers les régions voisines, soit un peu plus loin, mais en tout cas, c’est un peu la panique pour cette capitale qui par rapport aux autres régions était une capitale plus moderne.
Ce que craignent les Afghans, c’est ce qui s’est passé dans toutes les régions que les talibans contrôlent et ont commencé à contrôler depuis quelques années, puisque, et là, on revient à ce qui s’était passé avant, les talibans ont refait ce qu’ils avaient fait lorsqu’ils étaient au pouvoir à partir de 1996, c’est-à-dire moraliser, contrôler la population et établir leur ordre moral.
Concrètement, qu’est-ce qui va changer pour la société afghane, pour ces habitants de Kaboul notamment ?
Pour les habitants de Kaboul, ce qui va changer, c’est la chape de plomb morale qui va de nouveau s’abattre sur le pays et Kaboul est particulièrement sensible à cela, car c’est une partie relativement moderne du pays. Dans les campagnes, les zones rurales, les choses n’avaient pas beaucoup changé, mais pour Kaboul, c’est une catastrophe annoncée pour la situation des femmes, pour tout ce qui concerne les poches modernes de la ville. Même si on peut s’imaginer qu’avec la présence des médias et des structures modernes, ce ne sera pas tout à fait la même chose. C’est surtout l’ordre taliban qui va s’abattre sur Kaboul. Cela ne fait aucun doute. On voit déjà qu’il y a quand même des femmes qui sont attaquées, on voit qu’il y a des échoppes qui sont attaquées, des magasins modernes qui sont attaqués et les talibans ne sont pas encore totalement à Kaboul.
Les craintes pour les femmes sont très marquées aujourd’hui. Vous avez déjà des exemples d’exactions contre les femmes ?
Les exemples de femmes maltraitées, on a des exemples de femmes qui fuient, des femmes qui ne peuvent plus rester dans leur travail, les exemples se multiplient de jour en jour. En tout cas, on a l’exemple si ce n’est pas encore totalement fait à Kaboul, on a l’exemple de ce qui s’est passé dans les autres régions que les talibans contrôlent. D’un point de vue stratégique et moral, ils n’ont pas changé. C’est toujours la même façon de voir traditionnelle et rétrograde par rapport aux femmes qui sont considérées comme des moins que rien.
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