Marat Gabidullin, un ancien mercenaire du groupe Wagner, publie Moi, Marat, ex-commandant de l’armée Wagner (éd. Michel Lafon). Recruté par Wagner en 2015, il claque la porte, dégoûté, en 2019, et décide de raconter son histoire qui sera publiée en 2022 en Russie.
C'est un témoignage unique. Marat Gabidullin est le premier à raconter à visage découvert les batailles menées par le groupe Wagner au Donbass, en Ukraine, tout comme en Syrie ou en Afrique. L’existence de cette société militaire privée est toujours niée par le pouvoir en Russie, qui interdit officiellement le mercenariat.
RFI : Craignez-vous pour votre sécurité ?
Marat Gabidullin : Ma réponse à cette question est toujours très simple : c’est avant qu’il fallait avoir peur. Maintenant le Rubicon est franchi. Je veux que le plus de monde possible connaisse le fonctionnement de cette compagnie militaire de l’intérieur. Il faut que le monde connaisse la réalité, voit le visage réel de Wagner. Je sais que ce visage n’est parfois pas flatteur, que rien n’est simple. Mais l’image de Wagner est souvent diabolisée dans la presse. Et pour cause.
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Que voulez-vous dire ?
Il y a quelques années, tout le monde parlait d’une vidéo concernant l’exécution de deux miliciens syriens. Les responsables de cette exécution ont été identifiés comme des mercenaires de Wagner. Et je pense que c’était le cas.
Les connaissiez-vous ? Étaient-ils avec vous en Syrie ?
Non. Je ne les connais pas personnellement. Tout montre que ces mercenaires faisaient partie des bataillons formés en 2017 à l’arrache, juste avant une opération militaire importante à Akerbat. Parmi ces nouvelles recrues, très peu avaient une expérience militaire.
Confirmez-vous que les membres de la compagnie Wagner ont commis des crimes de guerre en Syrie ?
Ni moi, ni mes confrères, ni les soldats qui étaient sous mon commandement n’en ont commis. On n’a pas de sang de civils sur nos mains. Mais il faut comprendre une chose. Qui est un soldat de Wagner ? C’est un homme qui n’a aucun compte à rendre. Il n’a pas d’existence légale, pas de statut clair. Il agit dans une impunité absolue. Il ne répondra jamais de ses actes, de ses crimes devant un tribunal. Donc tout dépend de sa personnalité. Mais je voudrais le souligner ici - souvent ce sont des hommes qui ont une expérience militaire et qui n’ont pas de problèmes psychiques. Ils sont en mesure de prendre de bonnes décisions en période de guerre.
Mais ceux qui intègrent l’armée de Wagner, ceux qui n’ont pas d’expérience militaire, d’où viennent-ils ?
Difficile de le dire. Surtout maintenant pendant la guerre en Ukraine. Je pense qu’ils ne font pas de tri, qu’il n’y a pas de critères stricts pour aller au front.
C’est-à-dire qu’en ce moment, Wagner continue de recruter des hommes pour les envoyer en Ukraine ?
Oui. Il y a des troupes qui sont en train d’être formées actuellement pour se battre dans le Donbass.
Votre témoignage est très sensible. Trois journalistes russes ont été tués en République centrafricaine quand ils ont essayé d’enquêter sur Wagner. Et vous, vous nous dévoilez des secrets à visage découvert. Pourquoi Wagner vous laisse-t-il parler ?
Je n’ai demandé l’autorisation à personne. Je pense tout simplement qu’il est important d’en parler, car le problème des compagnies militaires privées est extrêmement important pour la Russie.
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Avez-vous reçu des menaces après votre témoignage ?
Pour l’instant, je ne ressens pas de danger parce que je suis loin de la Russie. Mais très probablement, on affûte des couteaux contre moi là-bas.
À quel point la compagnie Wagner est-elle liée au Kremlin et à l’armée russe ?
La législation russe interdit non seulement le mercenariat, mais même la détention d’armes automatiques par un particulier. Mais de telles compagnies existent. Cela veut donc dire que ces entreprises sont protégées par l’Etat.
Qui a créé la compagnie Wagner ? S’agissait-il d’une initiative du puissant Evgenii Prigozhin qu’on appelle « le cuisinier de Poutine » et que vous connaissez personnellement ?
Je ne voudrais pas mentionner de noms ici, je n’en vois pas l’intérêt. Mais le schéma est simple : il existe un homme prêt à agir, avec un esprit d’entrepreneur, très proche du tsar qui a un projet commercial à l’étranger. Il propose ce projet au tsar et demande de l’argent et des moyens. Le tsar est d’accord, il lui donne le nécessaire, mais en revanche, il lui demande de promouvoir les intérêts politiques de son pays au-delà de ses frontières.
Pour vous, le rôle de l’armée Wagner en Syrie était-il approprié ?
Il ne faut pas oublier qu’en Syrie on a combattu l’organisation État islamique, la peste du XXIe siècle. Mais je comprends qu’en allant se battre contre une bête féroce, on a permis à une autre bête féroce, qui est Bachar el-Assad, de se maintenir au pouvoir. C’est une bête sauvage moins violente et moins dangereuse, mais cela reste une bête sauvage qui a causé beaucoup de souffrances à son peuple. Tandis que son armée était faible et inefficace.
Dans votre livre, vous expliquez que c'est vous et vos camarades qui étaient en première ligne sur le front. Beaucoup plus que les soldats de l’armée russe.
La guerre en Syrie a été remportée par des mercenaires. Toutes les interventions militaires les plus importantes ont été réalisées par nous, et non par l’armée régulière. La prise de Palmyre, d’Akherbat, c’était nous ! Ce qui s’est passé à Akherbat est très parlant. On a fait tout le boulot, puis on nous a donné l’ordre de quitter la ville. C’est là où l’armée russe est entrée dans la ville avec les journalistes. Les soldats, suivis par des caméras, ont libéré une ville déjà libérée !
Et quand vous êtes partis en Ukraine en 2015, ce n’était pas pour combattre le groupe État islamique. Quelle était votre mission et pourquoi vous l’avez acceptée ?
J’ai été victime de la propagande russe, je partageais ses idées. On nous a dit que les nazis qui ont pris le pouvoir à Kiev menaçaient le Donbass, qu’il fallait sauver « le monde russe ». Je croyais que c’était nécessaire.
Qui donne des ordres à l’armée de Wagner, selon vous ? Des généraux russes, des officiers ?
Sans aucun doute, et c’est normal. Ils sont en collaboration avec le centre de commandement de l’armée russe. Sinon cela n’aurait pas été possible sur le terrain, les troupes ne prennent jamais de décisions toutes seules.
Vous avez quitté la compagnie Wagner en 2019. Vous a-t-on proposé de participer à la guerre actuelle en Ukraine ?
On ne me laissera jamais réintégrer Wagner, je suis une persona non grata pour eux. Mais en septembre, une autre compagnie militaire privée m’a contacté. Dès que j’ai compris qu’il s’agissait d’aller se battre contre l'Ukraine, je leur ai dit que je ne pouvais pas. Ça va à l’encontre de mes convictions, je le leur ai dit franchement.
Mais en 2015, quand vous vous êtes rendu en Ukraine, cela ne vous a pas gêné ?
Oui, mais ma mission à Lougansk m’a beaucoup marqué. Les deux mois que j’ai passés en Ukraine m’ont fait comprendre qu’on nous mentait beaucoup en Russie, que la propagande ne correspondait pas à la réalité. Et je voulais même quitter Wagner après 2015. Mais on m’a proposé d’aller en Syrie – un pays arabe lointain que je ne connaissais pas. Se battre contre les Ukrainiens, mes compatriotes, et contre les gens que je ne connaissais pas, ce n’était pas la même chose. Donc j’ai continué, y compris pour gagner de l’argent.
Combien étiez-vous payé ?
À l’époque, c’était 80 000 roubles (environ 1 200 euros) pendant les entraînements. Pendant la guerre, 180 000 roubles par mois (2 600 euros), et en cas de participation au combat 240 000 roubles (3 700 euros).
Quel est votre statut ici en France en tant qu’ancien combattant de Wagner – une organisation jugée souvent illégale par l’Union européenne ?
Pour l’instant, je n’ai pas de titre de séjour, je ne suis qu’un touriste. Mais si je sens qu’il existe un danger pour moi en Russie, je vais peut-être rester. Je n’ai honte de rien. Je n’ai commis aucun fait pour lequel je serai pénalement responsable.
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