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Ziad Makary, ministre libanais au sommet de l'OIF: «On n'a pas pu nommer Israël dans la déclaration»

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Le ministre de l'Information du Liban se trouve samedi 5 octobre à Paris, où se déroule le sommet de la Francophonie. Dans un entretien à RFI, Ziad Makary explique au micro de nos envoyés spéciaux, Nicolas Rocca et Robin Cussenot, la raison de sa présence en France, alors que son pays traverse une crise extrêmement grave.

Ziad Makary, ministre libanais de l'Information, photographié à Paris ce samedi 5 octobre 2024.
Ziad Makary, ministre libanais de l'Information, photographié à Paris ce samedi 5 octobre 2024. © Nicolas Rocca / RFI
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RFI : Votre pays traverse l'une des plus graves crises de son histoire. Pourquoi êtes-vous venu ici ? Êtes-vous venu chercher le soutien des autres membres de l'OIF ?

Ziad Makary : Mon pays est en guerre. Le Liban est un membre fondateur de la Francophonie, on est toujours dans les sommets, mais le Premier ministre n'a pas pu venir, il ne peut pas quitter le Liban, et moi-même, je n'aurais pas voulu quitter le Liban. Mais quelqu'un doit représenter mon pays. Donc, on est là, et à chaque fois qu'on est en dehors du Liban, on parle, on dit ce qu’il se passe chez nous. C'est normal qu'on demande de l'aide.

On compte beaucoup sur la France. Je pense que c'est le seul pays qui a une vraie intention, une bonne intention pour le Liban. Le président Macron l'a dit plusieurs fois. Vendredi aussi, il y avait un beau message avec Hiba Tawaji, qui a chanté pour Beyrouth, cela avait été demandé par le président Emmanuel Macron personnellement. Aujourd'hui, j'ai un discours. Et on va parler du Liban, de ce qui se passe.

Vous êtes satisfait des déclarations de la France ? Est-ce que vous espérez une condamnation un peu plus ferme des actions d'Israël envers le peuple libanais ? Quels sont vraiment les mots que vous attendez ?

On aurait voulu qu'il y ait une condamnation très claire des pays francophones. Mais malheureusement, on n'a pas pu même nommer Israël dans la déclaration, parce qu'à chaque fois qu'on nomme Israël, il y a beaucoup de pays qui sont solidaires avec Israël, malheureusement. Ils ne peuvent pas voir ce qui se passe au Liban.

Je voudrais dire maintenant qu'on est à plus de 2 000 victimes, 1,2 million de déplacés. On a, parmi les victimes, 110 ou 120 secouristes, des membres de la défense civile… Beyrouth est bombardé chaque jour. Aujourd'hui, l'armée israélienne a bombardé le Nord-Liban aussi. Cela ne s'arrête jamais.

Pour la première fois depuis un an, l'armée libanaise a tiré cette semaine sur Israël, l'armée a répliqué. Vous l'avez dit, il y a eu énormément de bombardements, d'atteintes extrêmement claires à l'intégrité du territoire du Liban, sur la capitale, dans la Bekaa, des opérations au sol dans le sud. Pourquoi l'armée libanaise a-t-elle décidé de réagir maintenant ?

L'armée libanaise est chargée de défendre le territoire libanais, donc elle réagit quand il faut réagir. Il y a déjà deux martyrs, deux soldats qui ont été tués par Israël. C'est pour cela que je dis que cela ne va pas. Sur tous les fronts, cela ne va pas. J'ai même lu qu'Israël avait menacé la Finul, la force internationale des Nations unies, qui est dans le sud. Ils les ont menacés, comme quoi ils doivent quitter leurs positions. Il n'y a plus de limites dans ce qu'il se passe.

Justement, cette force onusienne pour la paix apparaît un peu impuissante. À quoi servent encore les membres de la Finul sur le terrain ?

Ils font partie de la résolution 1701. Ils doivent être au Liban. Déjà, ils observent les violations de cette résolution. Je voudrais dire qu'Israël a violé cette résolution, depuis 2006, 56 000 fois – air, terre et mer. Donc la Finul doit rester. Mais je n'ai pas confiance en Israël, après tout ce qu'on a vu à Gaza. Ils ont assassiné des membres des Nations unies, de beaucoup d'organisations internationales. Je m'attends à beaucoup de mauvais jours, malheureusement.

Quelle solution durable, selon vous, pour essayer de régler ce problème de la frontière sud ? Que recommande le gouvernement libanais ?

Déjà, on a un conflit en ce qui concerne deux parties du territoire libanais. Le Liban dit que les fermes de Chebaa et de Kfar Chouba appartiennent au Liban. Or, elles sont occupées par Israël. Il faut déjà commencer à parler de cela, négocier cela. Ce qui me fait peur, c'est que la guerre ne va pas se limiter au Liban. Je pense que peut-être, cela ira à une échelle régionale. Malheureusement aussi, avec tout ce qui se passe entre l'Iran et Israël, des factions armées en Irak, les Houthis, toute la région pourrait s'embraser subitement.

Deuxième jour du XIXe sommet de la Francophonie, au Grand Palais, à Paris, ce samedi 5 octobre 2024.
Deuxième jour du XIXe sommet de la Francophonie, au Grand Palais, à Paris, ce samedi 5 octobre 2024. © Igor Gauquelin / RFI

Cela fait deux ans maintenant que le pays n'a officiellement plus de gouvernement. Où en sont les efforts entre les formations politiques libanaises pour nommer un président de la République et un gouvernement ? N'est-ce pas trop tard, compte tenu de la situation militaire très dégradée ?

Un président seul ne peut pas sauver cette situation. On aura besoin d'un président, c'est sûr. Mais je pense que personne ne va faire accélérer les choses maintenant, puisqu'on est dans une guerre. Donc il y a des priorités, malheureusement. La Constitution libanaise est très compliquée. Moi, je dis qu'elle a été faite pour entraver beaucoup de travaux. C'est une classe politique qui représente des religions, des confessions, cela complique tout, à chaque fois qu'il y a des élections, à chaque fois qu'il y a un nouveau président. On espère avoir un président, parce que le gouvernement ne fonctionne pas d'une façon positive, ni le Parlement. Mais je vous le redis : maintenant, il y a des priorités. Le pays est en guerre, on a beaucoup de problèmes économiques, constitutionnels, sociaux.

La mort d'Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a engendré des réactions extrêmement différentes au sein de la population libanaise. Comment faire pour que cette crise n'accroisse pas encore les différends entre les groupes religieux au Liban ?

Malheureusement, la situation interne ne va pas bien. Aussi, l'assassinat de Hassan Nasrallah a généré beaucoup de changements, beaucoup de haine. Là, je dis qu'au pays, malheureusement, on a beaucoup de haine, beaucoup de sang, beaucoup de divisions. Et on a beaucoup de travail pour après cette guerre.

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