Journal d'Haïti et des Amériques

La fermeture de la frontière haïtienne n’est qu’un «prétexte», pour Jean-Marie Théodat

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Le président de la République Dominicaine a invoqué ce dimanche (17 septembre 2023) la sécurité et l’intérêt national pour justifier la fermeture de la frontière avec Haïti. Il a précisé avoir renforcé la présence militaire le long de la frontière terrestre, suspendu la délivrance de visas et interdit l’entrée des promoteurs de la construction du canal d’irrigation au cœur des crispations. Un canal alimenté par la rivière Massacre commune aux deux pays, dont des agriculteurs haïtiens ont relancé la construction pour sauver leurs cultures.

La frontière entre la République dominicaine et Haïti à Ouanaminthe, le 14 septembre 2023, la veille de sa fermeture.
La frontière entre la République dominicaine et Haïti à Ouanaminthe, le 14 septembre 2023, la veille de sa fermeture. © OCTAVIO JONES / REUTERS
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La presse dominicaine estime pourtant qu’au-delà des sentiments nationalistes, « force est de constater que les deux pays ont plus à perdre qu’à gagner avec la fermeture de la frontière » mais pour l’heure, c’est chez les Haïtiens installés en République Dominicaine que l’inquiétude semble la plus grande. Roudy Joseph est porte-parole d’un collectif de défense des droits des Haïtiens dans le pays et il décrit une peur des représailles « contre une communauté dont les membres sont déjà confrontés à des violations systématiques des droits de l’homme comme le refus d’accès aux soins, l’expulsion de mineurs non accompagnés, la détention de personnes âgées ou de femmes qui allaitent… » Il raconte un climat d’hostilité généralisé qui pèse aussi sur les Dominicains noirs qui disent être « interpellés en plein milieu de la rue. La police leur demande leurs papiers et leur extorque de l’argent. »

Notre invité, l’écrivain et universitaire Jean-Marie Théodat y voit « une démarche poutinienne, c’est-à-dire un pays mieux armé qui se rue sur un pays plus faible au moment précisément où il est aux abois, au moment où tout le monde porte sur Haïti un regard d’empathie. » L’auteur estime que le président dominicain « a été un peu trop vite et qu’il s’en mord les doigts », mais sans changer de position de façade « car il ne faut pas oublier, explique Jean-Marie Théodat, qu’il est candidat à sa réélection et qu’en République Dominicaine en période d’élection on voit toujours une bouffée de racisme anti-Haïtiens. »

Une frontière fermée pour « une broutille »

L’écrivain haïtien qui est aussi maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne souligne que l’enjeu n’en vaut pas la peine. « Ce n’est pas comme s’il s’agissait du Nil, de l’Euphrate ou du Tigre. C’est un ruisseau qui traverse la frontière pour revenir sur le territoire dominicain après un parcours d’à peine deux kilomètres sur le sol haïtien. » Selon Jean-Marie Théodat, « le président Abinader a pris prétexte d’un incident qui aurait pu se régler, sans même monter au niveau de l’État, par des autorités municipales de part et d’autre de la frontière. » Luis Abinader, lui, s’en est remis à la communauté internationale avant de s’envoler pour New-York où il participe à l’Assemblée générale des Nations unies cette semaine.

La force de police multinationale enfin discutée à l’ONU ?

Le président haïtien lui aussi est aux États-Unis, alors que le vote sur une force de police multinationale attendu vendredi dernier (15 septembre 2023) a été reporté sine die. « Nous avons l’impression que le monde nous fait tourner en bourrique », commente Jean-Marie Théodat, cela fait plus de deux ans que l’on parle d’une intervention pour faire baisser la pression des gangs sur la population civile. Il y a eu plus de 2 400 morts depuis le début de l’année, une comptabilité qui nous fait nous rapprocher de l’Ukraine qui est un pays en guerre alors qu’il n’y a pas de guerre injuste comme c’est le cas dans cette guerre en Europe. »

L’écrivain haïtien se désole que son pays ne soit pas une priorité pour la communauté internationale, décrit le « sentiment de solitude existentiel du peuple haïtien » et regrette qu’en dehors d’un discours d’affichage, aucune action ne soit mise en œuvre. « Nous sommes situés dans une zone géographique où nous ne sommes un danger pour personne, résume-t-il, donc nous pouvons pourrir dans notre jus, personne ne s’en inquiète. »

Le journal de la 1ère

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