Le génome de la canne à sucre a été enfin intégralement déchiffré par une équipe internationale de scientifiques qui l'ont publié le 28 mars 2024 dans la prestigieuse revue Nature. C'est la plante la plus récoltée au monde : 80% de la production mondiale de sucre, mais aussi celle qui a la séquence ADN la plus complexe, due à la fois à la longue histoire de sa domestication, mais aussi de sa production, intimement liée à l’esclavage et à la colonisation.

Jusqu’où va la science ? Jusqu’à lire dans l’ADN de la canne à sucre, toute l’histoire de sa domestication et jusqu’à son lien avec l’esclavage et la colonisation. Le génome entier de la canne à sucre vient en effet d’être intégralement séquencé et publié dans la revue scientifique Nature.
Ce qui a été, précisons-le, un vrai défi : le génome de la canne à sucre, la plante la plus récoltée au monde en biomasse, qui assure aujourd’hui 80% de la production mondiale de sucre, est d’une redoutable complexité. Sa séquence ADN comprend 8,7 milliards de lettres, soit vingt fois plus que le génome du riz et… trois fois plus que celui des humains. Il a fallu cinq ans de travail, mené en collaboration par 34 chercheurs du monde entier, pour déchiffrer la totalité du génome d’une variété de canne à sucre, la R570 pour les intimes, actuellement cultivée dans les Antilles, sur le contient africain ainsi qu’à la réunion et à l’île Maurice.
Les 8,7 milliards de lettres ont été lues dans l’un des plus grands centres de séquençages, à Berkeley en Californie ; les 114 chromosomes ont été isolés par des équipes australiennes et tchécoslovaques ; et toutes ces données ont été interprétées à Montpellier par les chercheurs du Cirad qui avaient commencé cet énorme travail de séquençage de l’ADN de la canne à sucre qui nous renvoie… il y a 10 000 ans en Papouasie-Nouvelle-Guinée, là où elle a probablement été domestiquée à partir d’une espèce sauvage non sucrée pour donner naissance à une nouvelle espèce sucrée.
Il faut savoir que c’est la tige, la canne qui stocke le saccharose. Cette nouvelle espèce de canne à sucre a ensuite été transportée dans les iles avoisinantes du Pacifique puis en Inde et en Chine où elle s’est, à nouveau, naturellement hybridée avec une autre espèce sauvage non sucrée pour donner naissance à de nouvelles espèces sucrées, plus résistantes et mieux adaptées à des climats moins chauds.
Cet étonnant périple s'inscrit non seulement dans les gènes de la canne à sucre, mais, comme le souligne Florence Rozier dans le journal Le Monde, il s'entend aussi dans toutes nos langues indo-européennes. Le mot sucre est originaire du mot sanskrit sarkara et se dit sekar en persan. Or, la canne à sucre a été importée en Perse au VIᵉ siècle, avant d’être introduite par les arabes (on dit sukkar en arabe) à Chypre et en Crète au siècle suivant, puis en Andalousie au VIIIᵉ siècle et ce sont les croisades qui, à partir du XIIᵉ siècle, ont introduit la canne à sucre en Europe ou le sucre (saccharum en latin) est alors vendu par les apothicaires pour ses vertus médicinales
L’usage du sucre s’est ensuite répandu avec l’essor du commerce. Le sucre devient un signe extérieur de richesse, d’abord réservé aux aristocrates, puis aux bourgeois. Un commerce lucratif aussi pour les marchands de Venise notamment, qui l’importaient d’Orient. La canne à sucre va ensuite être produite et cultivée sur les îles méditerranéennes, aux Canaries et jusqu’au Nouveau Monde, aux Amériques, où elle est introduite au début du XVIᵉ siècle. C’est là que tout se gâte. La consommation de sucre se généralise et s’intensifie. Le prix du sucre baisse, car il est de plus en plus cultivé dans les colonies américaines par des esclaves.
Des hommes et des femmes sont importés en masse d’Afrique pour travailler dans les plantations et les magnats du sucre s’enrichissent. Jugez plutôt : en 1700, 10 pays exportent depuis leurs colonies 60 000 tonnes de sucre grâce aux esclaves africains ; en 1770, on est passé à 200 000 tonnes. « Rien de cela n’aurait été possible sans le transport brutal et sans équivalent de millions d’africains asservis, souligne l’historien britannique James Walvin. Le sucre était devenu synonyme d’esclavage ». Jusqu’où nous a entraîné la canne à sucre ? Jusqu’au pire, cela est certain. Même jusqu’à notre addiction actuelle au sucre… Mais ça, c'est encore une autre histoire.
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