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Crise au Sahel: «Le gros problème, ce n’est pas l’UEMOA, c’est le comportement de la BCEAO»

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Après la Cédéao, le Mali, le Burkina et le Niger vont-ils décider de quitter l'Uemoa et la zone du franc CFA ? Depuis la rupture du 28 janvier, la question se pose. L'expert monétaire français Olivier Vallée a été conseiller technique du FMI auprès des pays de l'Uemoa. Il était basé à Bamako. Il a aussi travaillé à Niamey. Pour lui, il est possible que les trois pays de la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES), décident de rompre avec le franc CFA et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), mais sans sortir de l'espace douanier de l'UEMOA.

Drapeau des pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Drapeau des pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). © AFP/Issouf Sanogo
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RFI : Concrètement, après la rupture du Mali, du Burkina Faso et du Niger avec la Cédéao, le 28 janvier, est-ce qu’il va y avoir une hausse des tarifs douaniers ? Et est-ce que, pour les ressortissants de ces trois pays, il va y avoir de l’inflation ?

Olivier Vallée : Les seuls échanges qui sont réellement soumis à la fiscalité douanière, parce que la douane, c’est une fiscalité, et principalement, la dernière fiscalité qui s’exerce, c’est la TVA. La TVA, on la prélève aux frontières. Et les droits de douane, pour des tas de raisons, même en dehors de la Cédéao, sont très faibles, parce que l’Uemoa, c’est une union qui est une union douanière, on l’oublie, à l’origine. Donc, les taux douaniers de l’Uemoa sont très bas. Le FMI et la Banque mondiale se sont battus pendant des années pour ouvrir le marché, donc ce qui fait rentrer de l’argent, c’est la TVA sur des grandes masses et notamment sur de grandes masses de produits importés qui viennent d’autres pays que de pays de la Cédéao – je pense à la farine russe, je pense au blé américain, aux engrais russes, aux engrais américains ou marocains. Ce sont les grandes masses, les flux qui sont les flux vitaux de douane pour les États – d’ailleurs, je ferais remarquer que, depuis qu’il y a eu des coups d’État successifs au Mali, je suis toujours surpris par le [bon] niveau des recettes de l’État malien, donc ça veut dire que ça continue à rentrer par l’intermédiaire, justement, de la TVA.

En fait, ce que vous dites, c’est qu’il y aurait une hausse des tarifs douaniers si ces trois pays étaient sortis de l’Uemoa – c’est-à-dire l’espace du franc CFA –, mais pour l’instant, tant qu’ils ne quittent que la Cédéao, il n’y a pas de hausse de tarifs douaniers, c’est ça ?

C’est bien cela.

Du coup, on se demande si ces trois pays vont sortir également de l’Uemoa ?

Je pense que l’une des options qui restent encore à l’AES, c’est de faire entendre le message à l’Uemoa : « Évitons d’en arriver là ».

L’AES, l’Alliance des États du Sahel, pense quand même à créer une monnaie commune à ces trois pays. On dit même que cette nouvelle monnaie pourrait s’appeler le « sahel ». Est-ce que c’est sérieux ?

Je crois que c’est une option qui n’exclut pas le maintien dans l’Uemoa parce que, dans cette période de crise que vit le Sahel, le gros problème, ce n’est pas l’Uemoa, c’est le comportement de la BCEAO qui a gelé tous les comptes du trésor nigérien, et c’est ça la pierre d’achoppement. Donc il n’y a pas de raisons objectives de quitter l’Uemoa. Il y en a quelques-unes qui incitent les autorités des trois États, encore une fois solidaires et coordonnés, à trouver une autre relation avec la BCEAO, qui leur donne une autonomie. Ce qu’ils veulent, c’est retrouver leurs comptes du trésor fluides et sans possibles blocages de la part de la Banque centrale.

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On dit souvent que, pour avoir une économie forte, il faut avoir un tissu économique suffisamment fort. Est-ce que demain l’Alliance des États du Sahel peut avoir une monnaie forte ?

Quand on a de l’or, on est tout à fait en droit d’émettre de la monnaie, on a la meilleure des compensations possibles, surtout au cours actuel de l’or.

Et de fait, le Mali est un gros producteur d’or…

Pas seulement le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont aussi des producteurs d’or. À la frontière entre le Mali et le Niger, à Téra, il y a une très grande concentration de chercheurs d’or, de l’or qui pour l’instant part surtout à Dubaï, mais on peut avoir aussi ces avoirs en or déposés à la banque de Dubaï.

Donc, vous voyez assez bien les trois pays de l’Alliance des États du Sahel sortir du franc CFA, sans sortir de l’espace douanier de l’Uemoa ?

À mon avis, rien n’est véritablement tranché. Ce qu’ils voudraient à tout prix, c’est bénéficier du côté de l’Uemoa, et peut-être, avant même cela, du côté de la Cédéao, d’une reconnaissance politique. Mais apparemment, on n’en prend pas le chemin.

Et pour vous, il ne faut pas faire de catastrophisme pour les économies de ces trois pays ?

Non, parce que, malgré les incertitudes, il n’y a pas eu de déclin net de la croissance économique. Les finances publiques du Mali se portent assez bien, le budget du Niger pour 2024 est un budget très raisonnable puisqu’il est inférieur de mille milliards [de francs CFA] à celui qui était prévu initialement et les prévisions économiques du FMI, qui datent du mois de juillet 2023, tablaient sur une croissance économique du Niger de 6%, qui va certainement être dopée par l’or qui commence à être produit par les Chinois, l’uranium – dont les cours montent – et le pétrole – dont on attend dans quelques jours qu’il alimente le pipeline qui débouche au port de Sèmè, au Bénin.

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