Droits de l'homme en Afrique centrale: «Il faut que les peuples se battent partout où ils sont»
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La Camerounaise Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale, le Redhac, lauréate de plusieurs prix internationaux des droits de l'homme, fait un état des lieux du respect des droits de l'homme en Afrique centrale, et son constat est plutôt amer... Elle est notre Grande invitée Afrique ce mardi.

RFI : Maximilienne Ngo Mbe, vous êtes à la tête du Redhac, le Réseau des défenseurs des droits de l'homme de l'Afrique centrale. Comment se portent les droits de l'homme dans cette région par rapport aux autres du continent ?
Maximilienne Ngo Mbe : Tout de suite, je vais vous dire que la zone de l'Afrique centrale est une zone très très dangereuse, parce que la longévité au pouvoir des chefs de l'État, beaucoup de ressources matérielles, puis des ressources au niveau du sol, font qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de défis. Et l'un des défis majeurs, c'est le respect des droits de l’homme dans sa globalité, mais plus spécifiquement des libertés fondamentales et les institutions démocratiques.
Prenons le cas de la RDC par exemple, et la situation catastrophique que vit l'Est de ce pays : que dit le Redhac à ce sujet ?
Aujourd'hui, tout le monde le sait, ce sont les Nations unies qui ont dit clairement que le M23 est soutenu par le Rwanda et donc, comme on a vu ailleurs avec la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), nous demandons à la CEEAC (Communauté économique des États de l'Afrique centrale) et à la Cemac (La Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale) de jouer leur rôle et de faire que ça cesse, et que la RDC retrouve ses richesses et retrouve son territoire.
Votre organisation se dit aujourd'hui « inquiète » par le « flou » qui entoure la transition au Gabon. Pourquoi ?
Parce que la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance est claire : les militaires n'ont pas vocation à gérer les pays en tant que président de la République. C'est normal qu'on soit inquiets, d’autant plus que nous voyons des élans de plus en plus en Afrique ou lorsque les militaires viennent au pouvoir, ils chargent les constitutions, après ils se font élire. Nous venons de vivre ça au Tchad et nous sommes préoccupés par le fait que, probablement, au sortir de cette transition, que ce haut gradé [Brice Oligui Nguema, président de la transition de la République gabonaise, NDLR] aussi, change la Constitution, se présente et gagne les élections. Il ne faut pas l'accepter.
Vous avez justement évoqué le Tchad. Le président Mahamat Idriss Déby a accordé la grâce présidentielle à des centaines, voire plus, de condamnés pendant la transition. Est-ce un bon pas vers la réconciliation qu'il dit prôner ?
Même si nous aurions souhaité qu'il ne se représente pas - parce que nous ne sommes pas pour les régimes militaires -, nous prenons acte que le peuple lui a donné le mandat et que lui-même a dit qu'il faisait de son mandat une partie de la réconciliation. La situation des droits de l'homme au Tchad est un peu différente des autres situations dans la mesure où on est sorti d'un régime militaire, on est inquiet par la répression en sourdine qui est souvent très fine et qu'on ne voit pas. Mais nous pensons qu'avec la Commission nationale des droits de l’homme du Tchad, la Commission africaine et nous-même, nous allons faire ce qu'on a à faire pour que ces dérives ne continuent pas.
Le Cameroun, justement, se prépare à une présidentielle au plus tard fin octobre 2025 et on constate déjà des tensions sur le plan politique, avec notamment des pressions qui sont grandissantes sur certains acteurs politiques. Avez-vous constaté la même chose ?
Oui, il y a beaucoup de tensions, mais ce qui nous préoccupe, c'est aussi que tous les acteurs politiques parlent des élections présidentielles qui arrivent, mais la situation au nord-ouest et sud-ouest et à l'extrême nord est très grave. Je vais vous donner quelques chiffres rapidement : en 2023/2024, nous avons au moins à peu près 103 civils qui ont été assassinés par les présumés séparatistes et il y a 4 personnalités qui ont été assassinées. Il y a plus de 50 forces de sécurité qui ont été assassinées. Il y a à peu près 2 000 000 de déplacés depuis janvier 2024... Et je ne parle pas de l'économie qui s'effondre et tout ce que cela comporte. Alors nous, nous pensons vraiment que, oui, il faut qu'il y ait l'élection présidentielle, mais il faut que les débats tournent autour de comment nous devons sortir le pays du marasme dans lequel il se trouve.
Au vu de l'évolution démocratique en Afrique centrale, êtes-vous optimiste ou pessimiste sur la question des droits de l'homme dans la région ?
Je suis entre les deux. La démocratie, c'est aussi l'alternance au pouvoir. C'est-à-dire que quand vous voyez des présidents qui restent 42 ans, 30 ans au pouvoir et qui manœuvrent tout le temps pour changer les constitutions, on ne peut pas parler de la démocratie ni des institutions démocratiques, mais il faut que les peuples se battent partout où ils sont.
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