Les dessous de l'infox, la chronique

La désinformation russe autour de la mort du journaliste Frédéric Leclerc-Imhoff

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Un nouveau nom s’est ajouté cette semaine à la liste des journalistes morts sur le terrain en Ukraine. Frédéric Leclerc-Imhoff est décédé le lundi 30 mai, alors qu’il couvrait une opération d’évacuation de civils pour la chaîne de télévision française BFM Tv dans le Donbass. Le véhicule humanitaire dans lequel il se trouvait a été touché par des éclats d’obus. Le parquet national antiterroriste a ouvert une enquête pour « crime de guerre ». Côté russe, on désinforme en s’attaquant à la victime.

Frédéric Leclerc-Imhoff dans l'exercice de son métier de journaliste reporter d'images.
Frédéric Leclerc-Imhoff dans l'exercice de son métier de journaliste reporter d'images. © Capture d'écran vidéo Reuters/ RFI
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Le traitement de la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff par l’agence de presse officielle Tass est un parfait exemple de la stratégie de désinformation russe, misant sur la « désorientation » du public. Une demi-heure après avoir relaté de façon factuelle la confirmation de sa mort par Emmanuel Macron, l’agence russe commence à faire circuler l’information selon laquelle il pourrait s’agir, non pas d’un journaliste, mais d’un « mercenaire ». Dans sa dépêche du 30 mai, l’agence d'État va jusqu'à écrire qu’il était « peu probable qu’il soit journaliste », et l’accuse de façon à peine voilée, d’avoir tenté de livrer des munitions aux soldats ukrainiens. 

Capture d'écran des dépêches de l'agence de presse russe Tass sur la mort du journaliste français Frédéric Leclerc-Imhoff.
Capture d'écran des dépêches de l'agence de presse russe Tass sur la mort du journaliste français Frédéric Leclerc-Imhoff. © Capture d'écran Tass/ RFI

Un journaliste reconnu par la profession

Or, aucun doute n'est permis sur l'activité de Frédéric Leclerc-Imhoff et sa façon d'exercer son métier de journaliste reporter d'images (JRI). Il était diplômé de l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine, et était bien un journaliste reconnu par la profession. Depuis 2015, il était en possession de la carte d’identité des journalistes professionnels, plus simplement appelée carte de presse. Son travail avec plusieurs médias est toujours accessible en ligne. 

Lors de sa mort, il était en tournage dans le Donbass, en équipe avec d’autres journalistes, dont une Ukrainienne, Oksana Leuta. Elle a témoigné sur la façon dont ils ont monté cette mission qui les a conduits à embarquer dans un véhicule siglé « aide humanitaire », ce que l’on voit très bien sur les clichés diffusés depuis.

Photo du camion siglé "aide humanitaire" qui transportait Frédéric Leclerc-Imhoff lorsqu'il a été mortellement touché par un éclat d'obus.
Photo du camion siglé "aide humanitaire" qui transportait Frédéric Leclerc-Imhoff lorsqu'il a été mortellement touché par un éclat d'obus. © Photo issue du canal Telegram du gouverneur de la région de Lougansk, Serguiï Gaïdaï.

Il n’y a absolument aucune preuve tangible attestant que ce journaliste ait eu d’autres activités que la couverture de l’actualité. Il s’agit là d’accusations gratuites et fallacieuses. 

Les séparatistes à la source de l’infox

L’agence de presse Tass s’appuie sur les propos d’Andrey Marochko, un membre des forces armées de la République populaire de Louhansk, des séparatistes pro-russes. C’est lui qui qualifie le journaliste français de « mercenaire » et affirme qu'il « était un complice de l'Ukraine et des forces radicales d'extrême droite ».

Sur son compte Twitter, Andrey Marochko se décrit comme un "expert militaire, personnalité publique, lieutenant-colonel de réserve de la milice populaire de la LPR."
Sur son compte Twitter, Andrey Marochko se décrit comme un "expert militaire, personnalité publique, lieutenant-colonel de réserve de la milice populaire de la LPR." © Capture d'écran Twitter/ RFI

Le même Andrey Marochko relaie sur son compte Telegram, des théories complotistes du média pro-russe NashDonbass, selon lesquelles la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff serait un coup monté par les forces ukrainiennes afin de discréditer l’armée russe. 

L’autre argument avancé par l’agence Tass pour semer le doute, c’est que Frédéric Leclerc-Imhoff était accrédité par l'armée ukrainienne au moment des faits. Ce qui est vrai, mais ne prouve absolument rien, puisque tous les journalistes présents en Ukraine doivent être accrédités, soit par les forces armées ukrainiennes côté ukrainien, soit par les forces armées russes de l’autre côté du front. Ce qui est une pratique courante sur la plupart des terrains de guerre, en particulier pour les journalistes qui prévoient de s'approcher du front.

Manipulation par les Russes pour les Russes 

Cette infox n’est pas relayée côté français, où il n’y a aucun doute sur ce que faisait ce journaliste en Ukraine. À l'inverse, elle a été reprise par de nombreux médias russes et se destine plutôt aux russophones et notamment aux habitants du Donbass. L’objectif, c’est de faire passer la mort du journaliste, non pas pour un crime de guerre, mais pour une manipulation visant « à agiter la communauté internationale », selon Andrey Marochko. 

Stratégie de désorientation

Pour Maxime Audinet, docteur en Science politique et en études slaves de l’Université Paris Nanterre et chercheur à l’Irsem, spécialiste de l’influence russe, la stratégie du Kremlin, illustrée par les dépêches de Tass, consiste à désorienter le public en diluant un peu de vérité factuelle avec des contenus trompeurs.

La réaction officielle des autorités russes, mercredi 1er juin, dans la bouche du porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, ne permet pas de dissiper ce brouillard informationnel : « Pour tirer des conclusions, déclare-t-il à la presse, vous avez besoin d’informations détaillées à propos de ce qui s’est passé, où et dans quelles circonstances, ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas. Nous n’avons pas ces informations ». 

Des propos qui ne sont pas de nature à faire cesser la désinformation relayée par les médias d’État sur la personne du journaliste français tué dans l’exercice de son métier. Le Kremlin laisse circuler les accusations les plus ignominieuses. Pour une fois, dans sa pratique de désinformation, la Russie n’est pas dans le déni du bombardement. Sa ligne de défense, c’est d’abord de s’en prendre à la réputation de la victime. 

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