Les dessous de l'infox, la chronique

Massacre de civils à Krementchouk, le déni de Moscou contredit par les faits

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À Krementchouk en Ukraine, un bombardement russe sur un centre commercial a tué au moins 20 personnes et fait des dizaines de disparus ce lundi. Tous sont des civils. La Russie ne reconnaît pas ce nouveau massacre, et assure avoir bombardé des entrepôts d’armement. Une version activement relayée sur les réseaux sociaux, mais que les faits viennent démentir.

Des pompiers s'attaquent à l'incendie démarré après une frappe russe, en espérant également de trouver des rescapés sous les décombres d'un centre commercial à Krementchouk, le 27 juin 2022.
Des pompiers s'attaquent à l'incendie démarré après une frappe russe, en espérant également de trouver des rescapés sous les décombres d'un centre commercial à Krementchouk, le 27 juin 2022. © Services d'urgence ukrainiens, via AP
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Le déni sur ce bombardement s’exprime au plus haut sommet de l’État russe. « Notre armée ne frappe aucun site d'infrastructure civile. Nous avons toutes les possibilités de savoir où se trouve quoi », a déclaré Vladimir Poutine lors d’un déplacement au Turkménistan le mercredi 29 juin, niant toute responsabilité dans cette attaque.

À Krementchouk, son gouvernement prétend avoir bombardé des entrepôts d’armements ukrainiens situés à côté du centre commercial. Ce serait l’explosion de munitions stockées dans ces hangars qui aurait déclenché l’incendie de la galerie marchande Amstor.

Une version qui ne tient pas 

En réalité, tout vient contredire le récit des faits avancés par la Russie. L’un des deux missiles a bien touché l’arrière du centre commercial. Une caméra de surveillance située à quelques mètres du bâtiment le prouve. Les images ont été vérifiées par le collectif d’investigation Bellingcat dans son enquête.

Le deuxième missile, lui, a touché un entrepôt à 500 mètres plus au nord. Les débris visibles sur les images satellites et les reportages confirment ces lieux d’impact. Une partie du centre commercial a donc bien été détruite par le missile, et non pas uniquement par la propagation de l’incendie, comme l’avance la propagande officielle.

Vue aérienne de la zone visée par les frappes russes.
Vue aérienne de la zone visée par les frappes russes. © Montage RFI

Le centre commercial était bien actif 

Le Kremlin affirme que le centre commercial était fermé ou désaffecté, jetant le doute sur le bilan des victimes. Cela contredit la déclaration du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, selon laquelle un millier de personnes se trouvaient sur place au moment de la frappe. 

Plusieurs preuves montrent qu’il y avait bien des clients en train de faire leurs courses ce jour-là.  Des survivants ont témoigné et certains ont même partagé la photo de leur ticket de caisse sur les réseaux sociaux, justifiant de leur présence quelques heures avant la frappe. 

Des commerçants ont quant à eux annoncé que plusieurs de leurs salariés ont été blessés, ou sont portés disparus. On trouve aussi une vidéo tournée la veille dans ce centre commercial, le dimanche 26 juin, par un couple d'influenceurs ukrainiens. Aucun doute n’est permis, ce centre était bien en activité et ouvert au public.

Aucune trace de matériels militaires

La Russie affirme avoir visé, et touché, une usine abritant des munitions et du matériel militaire. Pourtant, il n'y en a aucune trace. Quand Vladimir Poutine évoque les bombardements et déclare « Nous avons toutes les possibilités de savoir où se trouve quoi », il ne prouve rien. La propagande du Kremlin ne fournit aucun indice, tout en affirmant que l’armée russe avait employé des missiles de « grande précision ». 

Des journalistes de l’Agence France Presse se sont rendus sur place après l’attaque. Ils ont visité les bâtiments derrière le centre commercial, là où est tombé le deuxième missile. Il s’agit d’une usine d’engins de chantier, où ils n’ont trouvé aucun matériel militaire. Les habitants et les ouvriers en témoignent aussi. Les images de la télévision française LCI, montrent du matériel servant à la réparation des routes. 

Les relais de la désinformation

Partie du plus haut sommet de l’État, relayée aux divers échelons de pouvoir, la version russe se répand en dépit de ses incohérences. Vecteur de propagation, les ambassades reprennent le narratif élaboré par le site russe War on fakes, qui se présente sous les apparences d’un compte de fact-checking mais se consacre uniquement à la diffusion du récit officiel, en prétendant étayer ses thèses à coup d’infox. Comme le souligne Conspiracy Watch, le démarrage de cette officine de désinformation remonte précisément à la veille du déclenchement de l’invasion russe en Ukraine. 

Dans le sillage des prises de position officielles russes, on observe sur les réseaux sociaux une circulation active de ces thèses favorables au Kremlin, au-delà des frontières. Les preuves les plus incontestables sont purement et simplement niées, au bénéfice d’un récit alternatif sans lien avec la réalité.  

Des installations civiles prises pour cible

La question reste de savoir si le centre commercial était délibérément visé, ou si le premier tir a raté sa cible. Quoi qu’il en soit, Krementchouk se situe à 200 kilomètres du front, et les missiles sont bien tombés sur des bâtiments civils. Ce n’est pas la première fois que l’armée russe frappe des cibles non militaires. La veille, en pleine séquence diplomatique avec les sommets du G7 puis de l’Otan, un quartier résidentiel de Kiev était bombardé par l'armée russe

Concernant Krementchouk, des diplomates russes sont allés jusqu’à parler de provocation ukrainienne, et de mise en scène, comme ils l’ont fait pour Boutcha, Kramatorsk ou encore la maternité et le théâtre de Marioupol. Dmitry Polyansky, premier représentant permanent adjoint de la Russie auprès de l'ONU parle d’une « provocation » et affirme « si un missile avait frappé le centre commercial, rien n'en serait resté ». 

De son côté, Volodymyr Zelensky a appelé à l’ouverture d’une commission d’enquête et a qualifié la Russie d’« État terroriste ». Avec ce nouveau massacre de civils, les preuves de crimes de guerre s’accumulent. 

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