Tirs de missiles à Kramatorsk, les fausses accusations de Moscou
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Cela s’appelle une inversion accusatoire, et cela devient systématique. À chaque fois que des militaires russes sont suspectés d’un massacre ou d’exactions en Ukraine, Moscou retourne l’accusation contre les Ukrainiens, rendus coupables d’assassiner leur propre peuple. Après Boutcha, c’est de nouveau le cas à Kramatorsk où 52 civils ont perdu la vie à la suite du bombardement de la gare. Cette fois encore, la version russe ne tient pas et fait la part belle aux infox sur les réseaux.

Vendredi 8 avril, aux alentours de 10h30, deux missiles de type Tochka-U viennent frapper la gare de Kramatorsk, dans le Donbass, là où s’étaient massés de nombreux civils en train de fuir la région. Les premières images des femmes et des enfants tués ce jour-là soulèvent l’indignation dans le monde entier. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, a évoqué un acte constitutif d'un « crime contre l'humanité ». Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a lui dénoncé un « mal sans limite ».
Quelques heures après le bombardement, la Russie, pointée du doigt, dément être à l’origine de cette frappe. À 14h20, la Commission d’enquête de la fédération de Russie publie un communiqué catégorique affirmant que « les forces armées ukrainiennes sont à l’origine de cette frappe ». Moscou parle d’une « nouvelle provocation ». « Le but de la frappe orchestrée par le régime de Kiev sur la gare ferroviaire de Kramatorsk était d'empêcher le départ de la population de la ville afin de pouvoir l'utiliser comme bouclier humain », a réagi le ministère russe de la Défense. L’argumentaire repose principalement sur le fait que ces missiles Tochka-U ne seraient pas utilisés par l’armée russe, mais seulement par les Ukrainiens.
Les Russes possèdent bien des Tochka-U
En réalité, les Russes possèdent également ce type de missiles Tochka-U. Lors d’exercices conjoints avec la Biélorussie en 2022, baptisés « détermination de l’union », le ministère de la Défense russe ne s’en cache pas. Sa chaîne de télévision, Zvezda, diffuse le 15 février des images montrant des tirs de missiles Tochka-U. Une vidéo publiée sur Tik Tok le 31 mars 2022 montre également un convoi de véhicules russes, reconnaissables grâce au marquage « V », qui sont des lanceurs de missiles Tochka-U. Les recherches en sources ouvertes, notamment menées par le collectif Bellingcat, viennent confirmer cela.
Les propagandistes pro-russes affirment également que le numéro de série visible sur une épave d’un des missiles lancés sur Kramatorsk prouverait qu’il appartenait à l’armée ukrainienne. Pourtant, ce numéro seul ne permet aucunement d’établir ce constat, affirment les experts de Bellingcat.
Des publications compromettantes
Juste après l’attaque, des comptes Telegram pro-russes ont revendiqué le bombardement. Ils déclarent alors, vidéo à l’appui, que la frappe a tué plusieurs militaires ukrainiens. Une information partagée par certains journalistes russes. Mais lorsque les premières images remontent du terrain et qu’ils s'aperçoivent que les victimes sont en réalité des civils, ils décident de se rétracter. Certains suppriment alors leur publication, quand d’autres changent de discours et basculent dans le récit officiel de Moscou.
Autre élément accablant, le jeudi 7 avril sur Telegram, la veille du bombardement, un canal pro-russe conseille, sans justification, à ceux qui quittent Kramatorsk, de ne pas partir en train. Le lendemain, un quart d’heure seulement avant l’attaque, la même source renouvelle son avertissement : « Une fois encore, je tiens à me répéter. Évitez l'évacuation par le train », affirme-t-il.

Par ailleurs, le ministère de la Défense russe a reconnu que son armée avait effectué des frappes le 8 avril sur « des armements et d’autres équipements militaires dans les gares de Pokrovsk, Sloviansk et Barvinkove ». Toutes ces gares sont dans les environs de Kramatorsk, dont celle de Sloviansk à une dizaine de kilomètres seulement.
Le narratif russe se propage
Sur les réseaux sociaux, ce sont aujourd’hui des infox qui servent à propager la version imposée par le Kremlin. En témoigne ce faux reportage attribué à la BBC qui prétend que l’Ukraine est à l’origine de l’attaque de Kramatorsk. Diffusé le mercredi 13 avril, il a notamment été repris en direct par la chaîne de télévision d’État russe Rossiya 24.
En réalité, la BBC n’a ni produit, ni diffusé ce reportage. Le format, le logo, le texte, tout est manipulé pour tromper le public. La BBC a rapidement pris des mesures pour faire retirer cette vidéo, devenue virale sur les réseaux.
Même retirée de la circulation, cette fausse vidéo siglée BBC laisse des traces. De nombreux internautes s’y réfèrent pour affirmer la culpabilité de l’Ukraine. En France, ce récit est abondamment partagé par l’extrême droite pro-Poutine, à l’image de l’ancien conseiller de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, qui espère que les Ukrainiens « répondront de ces crimes de guerre ». C’est tout l’art d’inverser les accusations et de faire passer les victimes pour les bourreaux.

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