Max Lagarrigue, journaliste français devenu la cible d'un éleveur du Tarn-et-Garonne
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Dans notre série d'été « Menaces sur l'information », nous décryptons les pressions que subissent les journalistes dans les différents pays du monde. En France, ces pressions sont de l'ordre du judiciaire ou du financier le plus souvent. Mais Max Lagarrigue, journaliste local, est, lui, victime de cyberharcèlement et menaces de mort, venant de groupuscules d'extrême droite. En pratiquant son métier, il est devenu la cible d'un éleveur du Tarn-et-Garonne, au point de faire appel à la protection policière.
Le 25 juin dernier, le journaliste Max Lagarrigue arrive au tribunal entouré de six policiers. Il est partie civile et accuse Pierre-Guillaume Mercadal, éleveur porcin, de harcèlement. Il n'est pas le seul sur le banc des victimes présumées : deux maires du Tarn-et-Garonne ainsi qu'une policière ont aussi porté plainte. Proche des cercles identitaires, l'agriculteur a mobilisé des soutiens sur internet concernant une affaire de voisinage. La dispute prend des proportions insoupçonnées et le journaliste qui relate les rebondissements se retrouve dans la tempête. Personnellement visé dans les vidéos postées par Pierre-Guillaume Mercadal, Max Lagarrigue est harcelé, intimidé, et même sa famille est affectée. Le procureur a requis 11 000 euros d'amende et huit mois de prison en sursis contre l'éleveur pour harcèlement en récidive et outrage. La décision finale sera prononcée le 26 juillet.
Une querelle de clocher
Tout part d'une guerre de chemin, une querelle de clocher dans une campagne française, celle du Tarn-et-Garonne, plus précisément dans la commune de Montjoi. C'est une dispute sur l'utilisation d'un chemin qui oppose un éleveur de cochons, Pierre-Guillaume Mercadal, à son voisin anglais. Le maire soutient la version du voisin.
Un litige qui aurait pu rester anecdotique. Mais c'est sans compter l'intervention de Papacito, youtubeur d'extrême droite qui publie deux vidéos sur le sujet : « Le Paysan, le Maire et le Lord », ainsi que « La fouine de Montjoi », du surnom qu'il donne au maire. Des contenus prenant clairement parti pour l'éleveur porcin et menaçant l'élu de viol et de mort.
Dans le cercle des « lol fafs », c'est-à-dire les groupuscules d'extrême droite reprenant les codes de l'humour sur internet, ces vidéos ont l'effet d'une bombe. Elles sont visionnées plusieurs centaines de milliers de fois. C'est le début de « l'arche de Montjoi ». Pierre-Guillaume Mercadal va aussi faire ses propres vidéos, communicant principalement sur le réseau social TikTok.
Les fans de Papacito, très actifs sur internet, vont alors cyberharceler le maire de Montjoi. Une campagne qui concerne aussi le journaliste Max Lagarrigue, qui travaille au quotidien local La Dépêche du Midi et qui a relayé l'affaire dans ses pages. Visé nommément dans les vidéos, le journaliste se retrouve dans un tourbillon de menaces qui inondent sa messagerie. Il décide de porter plainte pour harcèlement. Pierre-Guillaume Mercadal ayant déjà été condamné pour le même motif, c'est accusé de harcèlement en récidive et d'outrage que l'éleveur comparaît le 25 juin.
« Regarde bien ma tête, parce que ça va aller vite »
Sur Instagram, un compte avec pour photo de profil un homme tirant au revolver envoie ce message : « Tic tac tic tac, attention le collaborateur. J’ai hâte qu’on se rencontre. Regarde bien ma tête, parce que ça va aller vite. » Des menaces qui font hésiter le journaliste. Est-ce trop risqué d'aller à l'audience ? Finalement, il s'y rend, mais entouré de six policiers. Une escorte qui l'a rassuré devant son comité d'accueil aux portes du tribunal : des militants de la Coordination rurale, syndicat agricole proche de l'extrême droite. Selon le journaliste, ils étaient une quarantaine.
La protection policière, il y est habitué : son domicile est sous surveillance depuis janvier. Un climat délétère, qui touche aussi la sphère familiale. Son histoire suscite l'émoi dans la profession : la fondation européenne des journalistes s'inquiète de la recrudescence des attaques en France contre ses journalistes. Max Lagarrigue s'est plusieurs fois demandé s'il n'allait pas arrêter de travailler sur le dossier. La réponse est non. Il continue à publier les articles décrivant le personnage de Pierre-Guillaume Mercadal, malgré une nouvelle vidéo postée fin juin par l'éleveur : en tout, le journaliste a signé une dizaine d'articles sur lui, récemment une enquête sur ses cagnottes en ligne, des fonds de plus de 800 000 euros récoltés auprès de ses soutiens dans les communautés d'extrême droite.
Selon l'article de Max Lagarrigue, l'éleveur utilise cet argent pour agrandir sa propriété et vise le rachat de la maison de son voisin, et donc du fameux chemin. L'agriculteur dément sur TikTok, tout en appelant ses fans à ne pas harceler les personnes qu'il vise dans ses vidéos. Histoire de ne pas risquer plus que les réquisitions du procureur, soit huit mois de prison en sursis et 11 000 euros d'amende.
En attendant, Max Lagarrigue continue à suivre l'affaire Mercadal et n'a pas l'intention de céder aux intimidations. « C’est la question en famille : est-ce que je dois continuer à travailler de la même manière, suivre ce sujet, est-ce que ça vaut le coup ? La réponse de la famille, c’est : "Arrête de travailler dessus et passe à autre chose". Mais moi, je ne vois pas pourquoi. On est en France, on n’est pas en Russie, dans un pays autoritaire ou totalitaire. On a encore le droit de travailler comme on l’entend sur des sujets : à partir du moment où on a des informations, on doit les traiter. »
L'avocat de Pierre-Guillaume Mercadal n'a pas souhaité commenter l'affaire avant la décision finale, qui sera prononcée le 26 juillet.
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