Réforme de la loi sur l'avortement au Bénin: ce qu'en pensent les soignants
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Le pays a récemment modifié sa loi sur l’avortement. Le nouveau texte, qui doit remplacer celui de 2003, a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le 21 octobre dernier. Il prévoit la possibilité d’un accès à l’avortement dans un délai de 12 semaines, sur prescription médicale, quand la grossesse est la conséquence d’un viol, mais aussi quand elle occasionne une situation de détresse matérielle, professionnelle ou morale pour la femme. Ce nouveau texte a suscité de nombreux débats au sein de la société béninoise et la colère de l’Église catholique. Le ministre de la Santé, lui, a insisté sur ses bienfaits pour sauver des vies, en luttant contre l’avortement clandestin. Les médecins eux-mêmes sont partagés.
De notre envoyée spéciale à Cotonou, Magali Lagrange,
En ce milieu de matinée, plusieurs personnes attendent dans un salon extérieur. C'est ici, à Akpakpa, que se trouve le cabinet du docteur Mohamed Chakirou Latoundji. Ce médecin, spécialiste en gynécologie et obstétrique, exerce depuis 27 ans. Il a déjà été confronté à des complications liées à des avortements clandestins.
« Ce qui m’a marqué, pendant ma formation dans les années 1990-94, raconte le docteur Latoundji, c'est une jeune fille, à trois mois de grossesse, qui était venue nous voir. Elle voulait une interruption volontaire de grossesse. On l’avait persuadée de ne pas le faire et qu’on allait l’aider. Elle a accepté et elle est partie. La surprise a été qu'elle est revenue en état de choc une semaine après. On voyait même ses intestins qui étaient sortis au niveau du vagin. Ça m’a tellement marqué, je n’ai pas oublié. »
Des histoires comme celle-ci, le docteur Latoundji n'est pas le seul à en raconter. Selon les chiffres officiels, 200 femmes meurent en moyenne chaque année au Bénin des suites d'un avortement clandestin. À l'hôpital de zone de la ville d'Allada, le docteur Tchimon Vodouhé a récemment été confronté à deux cas en deux semaines : une femme de 40 ans qui s'est inséré une tige de 20 cm dans l'utérus et une adolescente de 14 ans, décédée après être arrivée avec un choc septique. Alors, pour certains soignants, le nouveau texte de loi répond à une attente et permettra de sauver des vies. Le collège des gynécologues et obstétriciens du Bénin demandait une avancée depuis des années.
« Pour moi, c'est un soulagement » soupire le docteur Komlan Agossou, gynécologue obstétricien en exercice libre, avec plus d'une quinzaine d'années d'expérience. « J’ai travaillé dans un hôpital de référence et j'ai eu affaire à cette question quotidienne des complications des avortements. C'est un problème qui était déjà là, alors c'est logique qu’une solution soit apportée au problème. Je pense que la loi touche de très près l’une des bonnes solutions. »
Pour lui, la pratique de l'avortement, dont le cadre sera fixé par la loi, fera partie de ses devoirs de médecin mais il reconnaît que d'autre sont gênés, pour des raisons personnelles ou religieuses. Le président du Conseil national de l'ordre des médecins du Bénin, le professeur Francis Dossou, juge bon que les femmes puissent décider. Mais il estime également la nouvelle loi contraire au code de déontologie.
« Il faut protéger la vie en tant que médecin et l’avortement peut être compris comme l'arrêt de la vie d’un être qui n'est peut-être pas encore visible, mais qui est censé être là. En tant que médecin, je suis avec mes sensibilités, avec tout le contenu. Une partie de moi, très chrétienne, considère que l’on n’a pas le droit de porter atteinte à la vie. Donc je ne le ferai pas. Je ferai le contraire et j'essaierai de convaincre la femme qui veut avorter de ne pas le faire », assure le professeur Francis Dossou. Il explique également que tout médecin peut choisir d'orienter la femme vers un autre soignant.
Le personnel médical attend maintenant la publication des décrets d'application de cette nouvelle loi sur l'avortement, qui donneront plus de précisions pour sa mise en œuvre effective.
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