Reportage Afrique

Le Tchad face au fléau des enfants mendiants

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Au Tchad, on les appelle les mahadjirines, l'équivalent des talibés d'Afrique de l'Ouest. Envoyés en ville par des familles débordées des provinces, ils tâchent de récupérer de quoi subsister, parfois sous l'autorité de marabouts peu scrupuleux. Un phénomène qui prend de l'ampleur et contre lequel les autorités et les associations comme le Réseau des associations pour la protection des enfants au Tchad (Reaspet) ont peu de moyens de lutter. 

Vue générale d'une rue de Ndjamena, au Tchad, le 21 avril 2021.
Vue générale d'une rue de Ndjamena, au Tchad, le 21 avril 2021. © AFP/Djimet Wiche
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De notre envoyé spécial à Ndjamena,

À chaque carrefour ou zones passantes de Ndjamena, ce sont des grappes d'enfants qui tendent leurs écuelles, dans l'espoir d'obtenir quelques billets. Près du petit marché d'Ardep-Djoumbal, le long de l'avenue Goukouni Weddeye, en plein cœur de la ville, un petit groupe de cinq d'entre eux prend quelques minutes pour nous voir à l'invitation du Réseau des associations pour la protection des enfants au Tchad.

Ousmane, Mahamat, Alam et leurs copains ont entre 8 et 12 ans, ils sont originaires de la région de Dagana, au nord de la capitale. Leurs voix sont si fluettes qu'elles sont couvertes par le bruit de la circulation, leur timidité si maladive qu'il est difficile d'obtenir quelques mots de leur part.

Nous faisons la mendicité ici, au marché, avec nos tasses, on appelle à la charité des passants. L'objectif c'est de ramener au marabout de notre centre 250 francs par jour. Mais si on y parvient pas, on ne nous fait pas de problèmes. Moi, je suis ici en ville depuis 1 an, je suis venu de mon village dans le Dagana, vers Massakori. On nous a envoyé ici pour apprendre le saint coran, c'est tout ce qu'on sait, c'est notre objectif, et nous ne savons pas combien de temps nous allons rester.

Des enfants venus de toutes les régions du Tchad et de pays voisins

Leur marabout se prénomme Gouni Yaya. Il accueille dans son centre entre 200 et 300 jeunes de 8 à 30 ans, à qui il apprend le texte sacré. Ils viennent de toutes les régions du pays, certains ont fuit le Nigeria voisin. « Je cherche la bénédiction de Dieu dans ce que je fais », explique Gouni Yaya. « Je gagne ma vie au pressing, je tire mes revenus de cela, et après les enfants doivent essayer de ramener 250, 300 francs qu'ils me donnent, et on tâche de se nourrir avec ça. »

Puis il poursuit : « Quand les jeunes sont adolescents, certains partent, retrouvent leur famille, d'autres restent, ils trouvent du travail, font du ménage, participent, mais souvent ils préfèrent rester avec moi et étudier le Coran. Dans la religion, amener son enfant vers une éducation religieuse est importante, la lecture du Coran, c'est important, c'est la base de l'éducation et de la culture. »

Responsabiliser les parents, y compris devant les tribunaux

S'il n'existe pas de statistiques du nombre d'enfants contraints de mendier au Tchad, l'augmentation de la population du pays et le peu de ressources disponibles contraignent les familles les plus précaires à envoyer leurs enfants en ville dans des centres d'étude du coran. Chez certains, cela s'apparente à une véritable exploitation accompagnée de violences physiques. 

Le pays manque notamment de familles et de centres d'accueil et de réinsertion. La police, elle, ne lutte pas contre la mendicité, pourtant interdite depuis les années 1960 dans le code pénal. Ahmat Mahamat Hissène, ancien ministre de la Justice, connaît bien le sujet puisqu'il fut lui-même un mahadjirine. Il insiste sur la nécessité de responsabiliser les parents, y compris devant les tribunaux. « C'est l'expression de la misère, de la pauvreté et des privations. Si les parents sont sanctionnés par la non-prise en compte de la responsabilité de leur progéniture, s'il y a des cas comme cela, traduits devant les tribunaux, je crois que cela pourrait être un bon signe pour conscientiser les parents », martèle l'ancien ministre.

Conscientiser les parents, mais attention, le phénomène est avant tout le résultat d'un concentré de pauvreté, prévient l'ancien ministre.

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