Somalie: les populations entre sécheresse et jihadistes [1/3]
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Champs asséchés, bétail décimé, et population affamée. La Somalie connaît une terrible sécheresse, la pire depuis plus de 40 ans. Selon l’ONU, elle affecte presque 8 millions de personnes : soit la moitié des habitants du pays. Dans les zones sous administration des islamistes shebabs, les populations subissent une double pression : celle de la faim et celle du groupe jihadiste, filiale d’al-Qaïda. Baidoa, dans le centre du pays, est devenu une ville refuge, des centaines de milliers de déplacés s’entassent dans l’espoir d’y recevoir de l’aide humanitaire. Le gouvernement en a repris le contrôle en 2012, l’arrachant aux mains des shebabs. Mais le groupe jihadiste contrôle toujours de vastes zones rurales alentours. Avec la sécheresse, son joug s’est même resserré.
De notre envoyée spéciale à Baidoa,
Abshira Hassan Daoud essaie de protéger du soleil son petit garçon de 3 ans. Il a les yeux mi-clos. Il transpire. Elle lui passe la main sur le front. « Il a perdu beaucoup de poids. Il s’affaiblit de jour en jour. Il ne mange pas. Je pense qu’il est anémié. » Abshira est d’autant plus inquiète qu’elle est déjà en deuil. Mi-novembre, elle a vu mourir sa dernière fille, Barlin, 2 ans à peine, tombée malade dans son village. Malnutrition, rougeole… Barlin est arrivée trop tard à Baidoa pour être sauvée.
« D’abord, j’ai dû marcher pendant quatre jours, puis trouver une voiture. Et quand finalement, je suis arrivée à l’hôpital, elle a reçu des soins. Après deux semaines, son état s’était amélioré. Ensuite, elle est décédée. Je suis encore très choquée. » À entendre Abshira, on devine que sa fuite n’a pas été facile. D’autant que la jeune mère vient de la région de Bakol où le joug des islamistes shebabs est particulièrement féroce. Mais l’interview doit s’achever. À Baidoa, les déplacements des Occidentaux se font sous haute sécurité. Une dizaine d’hommes armés de kalachnikovs nous escortent. Les shebabs ont tissé un solide réseau de renseignements dans la ville. Notre temps sur le terrain est compté.
Quelques heures plus tard, dans l’intimité d’un bureau à l’abri des regards, Abshira précise son récit. En 2015, le gouvernement a repris plusieurs villes dans la région de Bakol. Depuis, en représailles, les islamistes y imposent un blocus contrôlant tous les axes routiers. « Les shebabs interdisent à tous les véhicules de sortir et de rentrer. Mais il fallait que j’aille à Baidoa. Je suis donc partie avec ma fille malade. Ils m’ont arrêtée au check-point en me disant : " Tu ne peux passer ". Les shebabs se fichent de la vie des enfants. Tout ce qui les intéresse, c’est de taxer les gens. Ils me disaient : " Que ton enfant vive ou meure, on s’en fiche. Tu ne sortiras pas d’ici. Tu n’iras pas à l’hôpital à Baidoa. Rentre chez toi et prie pour ton enfant. " »
Abshira a dû insister, supplier, négocier, s’endetter et payer pour finalement pouvoir passer. « Finalement, je leur ai dit : " Tuez-moi ou laissez-moi passer. J’ai payé une taxe. " Et ils ont fini par céder. » Dans ces zones sous blocus, en dépit de la sécheresse, la pression des shebabs ne s’est pas relâchée. C’est également le récit que nous livre Nour Adan Mohamed, un paysan de 76 ans.
« Al-Shabab est une nuisance pour la population. Ils contrôlent tout. Non seulement ils nous harcèlent, mais en plus ils nous taxent. Ils ponctionnent nos revenus, tuent nos têtes de bétail. Ils nous réduisent en esclavage. »
À Gurban, son village, cet homme vivait de son bétail et de la culture du sorgho. Au fils des mois de sécheresse, ses ressources n’ont fait que diminuer. Mais pas les taxes prélevées par les shebabs. Elles ont fini par l’asphyxier. « On payait des taxes jour et nuit. Même si ton champ est vide, qu’il n’est plus cultivé, on te demande de payer. À un moment donné, je ne pouvais plus payer. J’ai dû commencer à vendre mon bétail. J’avais 20 vaches et 20 chèvres. Et j’ai tout perdu. Certaines sont mortes de soif, d’autres ont été vendues pour payer les shebabs. Quand la dernière bête est morte, j’ai décidé de partir. C’était devenu insupportable. »
Aliman Hassan supervise pour la communauté le site de déplacés où vit désormais Nour Adan Mohamed. Il n’est pas étonné. « Ils n’ont aucune pitié, pour personne. Il n’y a pas de pitié dans ces endroits. Vous devez payer ce qu’on vous demande sous peine d’être punis. »
Blocus imposé par les islamistes
D’autant que Gurban est situé dans une zone âprement disputée près de Dinsor, une ville autrefois sous contrôle shebab mais récupérée en 2015 par le gouvernement. Depuis, en représailles, les islamistes y imposent un blocus. Ils contrôlent tous les accès à Dinsor par la route et empêchent les habitants des villages alentours de s’y rendre même lorsqu’ils sont affamés.
Hassan Ali est chef de projet adjoint au sein de l’ONG Acted. « Ce blocus imposé aux populations rend cette sécheresse encore plus dure à supporter. L’an dernier, des habitants de ces zones rurales s’étaient organisés pour acheminer de la nourriture de Dinsor jusque chez eux dans des charrettes tirées par des ânes. Mais les shebabs ont tué les ânes et ont brûlé la marchandise. Même si tu as de quoi payer, parfois dans ces zones, tu ne peux rien acheter. C’est très inquiétant. »
D'autant plus inquiétant que dans les villages sous contrôle shebab, pratiquement aucune agence humanitaire n'est autorisée à intervenir.
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