Réfugiés tigréens au Soudan: la question du Wolkait pourrait faire dérailler le processus de paix [4/5]
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Depuis plus d’un mois, dans le nord de l’Éthiopie, les combats ont cessé entre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et l’armée fédérale depuis la signature le 3 novembre dernier d’accords de paix à Pretoria, en Afrique du Sud. La semaine dernière, les rebelles ont affirmé avoir désengagé 65 % de leurs combattants des lignes de front. La trêve reste pourtant très fragile alors que les accords de paix n’ont pas réglé un problème de taille : l’avenir de la région du Wolkait. Cette province située à l’ouest du Tigré est aujourd’hui occupée par les forces spéciales et les milices Fanno venues de la région Amhara qui souhaitent annexer cette région très fertile. Le Wolkait a été le théâtre depuis deux ans d’un nettoyage ethnique, selon les rapports de Human Rights Watch et d’Amnesty International. De nombreux habitants de l’ouest du Tigré ont trouvé refuge au Soudan voisin. Pour eux, le Wolkait est une pomme de discorde qui pourrait bien faire vaciller le fragile édifice de paix.

De notre envoyé spécial dans le camp d'El-Hashaba,
De nombreux paysans ont été surpris par la guerre alors qu’ils travaillaient dans leurs champs. Parmi eux, certains riches investisseurs agricoles qui ont traversé la frontière soudanaise avec leurs tracteurs. Gebremariam Twalda possédait 150 hectares de sésame à Barakhet, au sud de Humera.
« J’avais 25 tonnes de sésame tout juste récoltées dans mes hangars. Tout a été pillé. Mes terres sont aujourd’hui entre les mains des milices Amhara. Leur plan, c’était de nous rayer de la carte pour contrôler nos terres. Lorsque les milices Fanno ont envahi la région, les Amhara qui vivaient avec nous, nous ont dénoncé : "Lui c'est un Tigréen, lui c’est un Amhara". Ensuite, ils n’avaient plus qu’à nous tuer, sur les routes, maison par maison et jusque dans nos fermes. »
Selon de nombreux témoignages, des milliers de prisonniers Tigréens ont été convoyés en bus hors de la région du Wolkait, vers le centre du Tigré. Après le nettoyage ethnique, un changement démographique est à l’œuvre, affirme Negeste Zaro.
« À Rawyan, là où j’habitais, les seules personnes qui sont restées sont des gens moitié Amhara et moitié Tigréens, ou d’autres de l’ethnie du Wolkait. Tous les jeunes et les vieux Tigréens ont été emprisonnés par les occupants ou bien ont été déplacés. Les filles, elles, ont été violées ou bien forcées à se marier avec les Amhara. »
Une région au cœur de revendications nationalistes
Selon les accords signés à Pretoria, les forces non fédérales sont censées se retirer du territoire tigréen. Devant le Parlement, le Premier ministre Abiy Ahmed a déclaré que la question du Wolkait serait réglée en accord avec la Constitution de 1995, rappelle Haftom Tesfay, membre de l’administration des camps de réfugiés dirigée par le TPLF.
« Selon la Constitution, le problème de Wolkait n’est pas un problème, car historiquement, la région appartient au Tigré. Mais dès les premiers mois de la guerre, ils ont installé de nombreux colons Amhara et leur ont donné des maisons. Les investisseurs Amhara et les milices ont commencé à cultiver nos terres. À l’origine, c’est une guerre économique. Une guerre pour le sésame. Les élites Amhara et les exportateurs de sésame voyaient le potentiel économique du Wolkait. Alors, en répandant des discours de haine à travers leurs médias, les élites Amhara ont transformé cette guerre économique en guerre ethnique. »
Le gouvernement régional Amhara a salué la trêve signée à Pretoria, sans commenter le futur de ce territoire annexé. Le Wolkait est au cœur des revendications nationalistes des politiciens Amhara qui revendiquent un droit historique sur la région. Un référendum pourrait être organisé, mais d’après de nombreux observateurs, il est peu probable que ces milices se retirent pacifiquement de l’ouest du Tigré.
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