Réfugiés tigréens au Soudan: dans les camps, des blessures difficiles à cicatriser [5/5]
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Depuis plus d’un mois, dans le nord de l’Éthiopie, les combats ont cessé entre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et l’armée fédérale depuis la trêve signée le 3 novembre dernier à Pretoria, en Afrique du Sud. Le processus de paix semble pourtant fragile alors que de nombreux pans du Tigré restent largement coupés du monde, de l’aide humanitaire, et toujours occupés par des forces armées. Pendant deux ans, une guerre fratricide s’y est déroulée à huis clos. Un nettoyage ethnique documenté par plusieurs rapports, dont ceux de Human Rights Watch et Amnesty International. Les exactions sur les civils ont été quotidiennes, commises par toutes les parties prenantes au conflit. Outre les exécutions sommaires, les déportations et les tortures, les violences sexuelles, et notamment les viols collectifs, ont été utilisés comme arme de guerre. Alors que les accords de paix entrouvrent une fenêtre d’espoir, certaines blessures profondes auront du mal à cicatriser. Dans le camp d'Oum Rakuba, une réfugiée a accepté de raconter son calvaire.

De notre envoyé spécial dans le camp d'Oum Rakuba,
Elle a demandé à être appelée Showit. Cette femme d’une trentaine d’années vivait à Humera, à l’ouest du Tigré. Le 10 novembre 2020, la ville est encerclée. Bombardée par de l’artillerie tirée au nord depuis l’Érythrée voisine. Assaillie au sud par les troupes fédérales et les milices Amhara.
« J’étais abritée sous un pont qui a été bombardé près de l’église Mariam. Il y avait tellement de cadavres que je ne pouvais pas les compter. En état de choc, je me suis enfuie, je suis tombée sur 8 soldats de l’armée fédérale. Ils m’ont interpelé en amharique : "Putain, mais où est-ce que tu vas toi ? Viens par ici". Ils m’ont interrogée. Ils disaient que j’étais une espionne. Deux hommes ont pris ma fille à part, lui ont recouvert le visage avec un foulard. Les autres m’ont couchée sur le dos, sur un tas de cadavres, au milieu du sang. Six soldats m’ont violée à tour de rôle, par tous les orifices. L’un d’entre eux me tenait avec sa ceinture pour m’écarter les jambes. Ils me jetaient du sable dans le vagin et éteignaient leurs cigarettes sur ma vulve. L’un d’entre eux disait : "Elle est 100 % Tigréenne, c’est sûr, ça s’entend à son accent. On doit en finir ces gens-là." Ils ont dit qu’ils me tueraient. Je suis restée silencieuse de peur de mourir. »
Des traumatismes irréversibles
Alors que l’un des soldats demandait s’il fallait achever la mère, la petite fille de 8 ans, tenue à l’écart, a commencé à se débattre. Elle s’est exprimée dans un dialecte amharique parfait qui a surpris les hommes en uniforme. Et a permis de sauver ce qui pouvait encore être sauvé de Showit.
« L’un d’entre eux a dit : "Est-ce qu’on devrait la violer elle aussi ?" Un autre a dit : "Non, c’est peut-être la fille d’un de nos frères". Alors, ils lui ont coupé les cheveux et ont l’ont relâchée vers moi. Et ils sont partis. Ma fille était choquée, elle me demandait ce qui s’était passé à la vue du sang sur mon corps. J’ai dit : "Je vais bien, je vais bien". Ce sont des démons. Ils n’ont aucun respect pour les femmes. Ont-ils seulement une mère ? Ils m’ont violé, car je suis Tigréenne. Ils disaient : "On ne veut pas qu’une Tigréenne puisse donner naissance à un enfant". Ils nous violent, nous détruisent et espèrent que l’on se suicidera. Parfois, je me sens chanceuse, car je suis en vie. J’ai perdu tant de proches dans cette guerre ! L’accord de paix nous permet de respirer, mais je ne crois pas qu’on pourra vivre comme avant. On ne pourra pas vivre ensemble. »
Ce viol collectif a laissé des traces indélébiles. Showit est désormais séropositive. Elle a des cicatrices sur le corps et des complications obstétricales irréversibles, selon le médecin qui l’a prise en charge dans un hôpital du camp de réfugiés, où de nombreuses autres femmes ont subi le même sort.
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