Sierra Leone: la kush, drogue stigmate de la pauvreté des jeunes
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En Sierra Leone, le président réélu Julius Maada Bio va devoir composer avec la pauvreté endémique, l’inflation à 43% et le haut chômage des jeunes, estimé à 70% de cette population… Sur ce terreau, une nouvelle drogue prospère, qui fait des ravages parmi les moins de 39 ans : la kush, un mélange très nocif de cannabis de synthèse et de produits chimiques.

Avec notre envoyée spéciale à Freetown, Marine Jeannin
Dans le vacarme de la station service de Lumley se croisent tous les taxis, moto-taxis et tricycles de ce quartier prisé des touristes. Ici, les fumeurs de kush tentent de se faire discrets. Ils savent que leur présence n’est que tolérée… et que les passants ont vite appris à les repérer. « Les jeunes qui prennent de la kush ici, ils ont les pieds gonflés, ils sont toujours sales, ils ne prennent pas soin d’eux, et ils se comportent comme s’ils étaient fous », énumère un conducteur de moto-taxi.
Ce sont dans l’immense majorité des jeunes hommes ou des adolescents, qui travaillent ici comme « batoman », dit-on en krio. Ce sont eux qui aident les taxis à trouver des clients, et vice versa… En échange de leurs services, ils reçoivent quelques billets froissés… Qui disparaissent tout aussi vite. Le prix d’une dose ? « 5 000 leones », la monnaie locale, soit 23 centimes d’euros. Une bande d’amis s’est rassemblée. Tous veulent témoigner. Le premier a 21 ans, porte un T-shirt vert à l’effigie du président réélu Julius Maada Bio. Pas par conviction, mais « parce qu’il n’a pas d’autre vêtement », précise-t-il. Il fume de la kush depuis ses 16 ans. « Mes frères et moi, on prend tous de la kush. Regardez comme on est maigres ! Quand on fume de la kush, on ne fait plus rien. On ne dort plus, on ne mange plus, on ne travaille plus. On reste juste debout dans la rue avec la tête qui ballote. »
« On souffre trop, dans ce pays, et c’est pour ça qu’on fume de la kush »
Avec toujours, la même motivation : oublier l’espace d’une demi-heure, le temps que durent ses effets, la dureté de leurs conditions de vie. « On souffre trop, dans ce pays, et c’est pour ça qu’on fume de la kush. Le gouvernement ne s’occupe pas des jeunes. On dort à la rue, il n’y a pas d’emploi, rien à manger. Tout est devenu si cher ! Même le garri [la semoule de manioc] coûte cher, maintenant ! » L’un de ses amis lui coupe la parole pour crier : « Si j’avais un travail, je vous promets que je ne fumerais plus jamais de kush ! Si seulement j’avais un travail ! »
La kush est arrivée sur le marché sierra-léonais en 2018, mais c’est pendant la pandémie de Covid-19 que sa popularité a explosé… en corrélation directe avec l’aggravation de la pauvreté. « Nos jeunes se droguent parce qu’ils n’ont plus d’espoirs, explique Alhassan Jalloh, chef de programme à la Foundation for Rural and Urban Transformation (FoRUT). Ils n’ont plus d’options. S’ils fument de la kush, c’est pour tomber dans un sommeil profond. (il a un rire nerveux) L’intérêt de cette drogue, c’est qu’elle les détache totalement d’une réalité qu’ils ne supportent pas. »
Il n’existe pas de statistiques nationales sur l’usage de kush… Mais 90% des hommes admis aux urgences psychiatriques de Freetown sont des consommateurs. La substance est extrêmement nocive à la fois pour la santé mentale, et pour la santé tout court, disent les experts… Avec un risque d’overdose élevée, en particulier parce qu’on ignore sa composition, explique Ibrahim Kargbo, de l’Agence nationale de lutte contre la drogue. « C’est du cannabis de synthèse qui est mélangé avec différents produits chimiques ou médicamenteux, comme du Tramadol. On connaît bien les effets du cannabis naturel, mais la kush est une nouvelle substance psychoactive. Avant, les Sierra-Léonais fumaient du cannabis d’importation. Mais la kush contemporaine est préparée localement, sous différentes formes. C’est ce qui la rend aussi dangereuse. »
La police sierra-léonaise a conscience de l’ampleur du problème. Plusieurs cargaisons de kush ont déjà été saisies sur le port Elizabeth II... Mais pour le moment, les enquêtes sont au point mort. Et l’identité des cartels qui inondent le marché reste un mystère.
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