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Conditions de vie, violences, racisme: l’État tunisien reste indifférent à la situation des migrants subsahariens

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En Tunisie, le sort réservé aux migrants subsahariens ne s’améliore pas, trois semaines après la vague de violences et de déplacements forcés qui les ont touchés dans la ville de Sfax dans l’est du pays, après la mort d’un Tunisien lors d’une altercation avec des migrants. Des gardes-frontières libyens ont partagé des photos de migrants déshydratés, abandonnés dans le désert, selon eux, par les autorités tunisiennes. La photo d’une Ivoirienne et de sa fille, mortes de déshydratation, a créé la polémique, mais sur le plan humanitaire, l’État tunisien réagit peu selon les associations présentes sur le terrain.

Rassemblement de migrants dans la ville de Sfax  dans l'est de la Tunisie, le 7 juillet 2023 après avoir subi une vague de violences et de racisme à la suite d'une bagarre entre un migrant et un Tunisien causant la mort de ce dernier. (Image d'illustration)
Rassemblement de migrants dans la ville de Sfax dans l'est de la Tunisie, le 7 juillet 2023 après avoir subi une vague de violences et de racisme à la suite d'une bagarre entre un migrant et un Tunisien causant la mort de ce dernier. (Image d'illustration) AP
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De notre correspondante à Tunis,

À Bab Jebli, l’un des ronds-points du centre-ville de Sfax, près de 200 migrants subsahariens vivent toujours dans la rue depuis plus de trois semaines après avoir été expulsés de leur maison. Ils sont nourris par des passants et l’association du Croissant-Rouge tunisien. Une situation plus que précaire, comme en témoigne Ibrahim Konaté originaire de Côte d’Ivoire.

« Ce n’est pas la police qui nous a délogés, mais la population. Il y avait des groupes de bandits qui tombaient sur les Blacks pour nous voler et c’est pour cela que le bailleur a décidé de nous chasser de la maison… Pour pas que les gens tombent sur nous chez lui. Ils arrêtent de s’occuper de nous à 100%. Même la mairie qui venait ici pour nettoyer chaque matin ne vient plus, ils ont tout coupé, tu vois comme la rue est sale actuellement », explique Ibrahim.

Face aux fortes chaleurs, les migrants tentent tant bien que mal de trouver des solutions. « On va souvent à la mosquée pour essayer de se laver, rester un peu et ensuite retourner », poursuit Ibrahim.

Mariam, une Ivoirienne de 32 ans, migrante installée à Sfax depuis neuf ans n’a pas été chassée de son logement. Elle tente de venir chaque jour aider, comme elle peut, les femmes avec des enfants présents sur place en leur apportant à manger... « Oui de la nourriture, de l’eau à boire, c’est tout. Voir des gens dans la rue, qui ne savent pas où aller, qui n’ont pas de quoi manger, c’est un peu compliqué. Ça fait vraiment pitié. Il faut les soutenir, donner à manger… »

« On n’a pas d’interlocuteur »

À ces migrants s’ajoute la présence de 426 Soudanais dans un parc juste en face de Bab Jebli, ils vivent également sur place depuis trois mois, bien qu’ils soient inscrits comme réfugiés auprès du Haut-commissariat des Nations unies en Tunisie. L’ONG ne répond à nos demandes d’interviews. Pour l’Association des femmes démocrates à Sfax, cette situation devient intenable pour la société civile qui se sent abandonnée par l’État.

« On n’a pas d’interlocuteur, ni de gouverneur et l’administration aussi ne veut pas parler aux ONG », détaille Naama Nsiri, l'avocate et présidente de la section régionale. Le gouvernement tunisien et la présidence nient les mauvais traitements infligés aux migrants Subshariens.

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Dans le sud tunisien, la situation est également grave. Près de 650 migrants ont été récupérés du désert par le Croissant-Rouge tunisien et dispatchés dans divers foyers d’hébergements, mais d’autres n’ont pas pu être sauvés à temps, comme en témoignent les images provenant de Libye. Au moins cinq corps auraient été découverts côté libyen depuis le 19 juillet et 140 personnes seraient toujours coincées près du poste frontalier de Ras Jedir.

Quant à ceux qui avaient été transportés de force côté frontière algérienne, certains ont été récupérés par les gardes-frontières algériens tandis que d’autres ont été transférés par le Croissant-Rouge dans des villages à proximité. L’Association des femmes démocrates fait également état de 292 migrants arrêtés et emprisonnés à Sfax pour « franchissement illégal des frontières » depuis le 1er juillet.

Près de 1 600 migrants expulsés de leur logement

Selon l’ONG Human Rights Watch, ce sont près de 1 600 migrants qui ont été expulsés de leur domicile, dont près de 700 déplacés de force et laissés à l’abandon vers des régions frontalières depuis le début du mois.

Le 26 juillet, l’ONG Médecins du Monde avec treize autres organisations a publié un communiqué exprimant « leur profonde préoccupation face à l’évolution de la situation des personnes migrantes en Tunisie depuis quelques mois et notamment l’exacerbation récente des discriminations et des violences à leur encontre. » Elles exhortent les autorités tunisiennes « à faciliter l’accès des organisations de la Société civile nationale et internationale aux zones dans lesquelles se trouvent les personnes déplacées par les forces de l’ordre lors des opérations du mois de juillet 2023, en rappelant que ces personnes se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité les exposant à des risques multiples notamment en matière de santé physique et mentale. »

Alors que la Tunisie est fortement critiquée pour sa gestion de la crise migratoire dans le pays, la présidence a signé un partenariat économique avec l’Union européenne qui comprend une aide de 105 millions d’euros pour lutter contre « la migration irrégulière ».

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