Sénégal: les cahiers de Ponty, témoignages précieux ou matériel pour les colons? (2/2)
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Suite et fin de notre série de reportages au Sénégal consacrés à l'école normale William-Ponty. Dans les murs de l’Ucad à Dakar sont précieusement conservés ce que l’on appelle les cahiers de Ponty. Ces devoirs étaient rédigés par les élèves venus de toute l’AOF, l'Afrique-Occidentale française, à partir des années 1930. Ce sont des témoignages riches des rites et coutumes dans ces pays, mais ils s’abîment avec le temps.

De notre correspondante à Dakar
« Les cahiers sont là ». Dans une armoire métallique, de grandes pochettes en cartons sont ouvertes méticuleusement par El Hadj Birame Diouf, documentaliste à l’Institut Fondamental d'Afrique Noire (Ifan).
Des informations précieuses...
À partir de 1937, les brillants étudiants de l’école William Ponty les rédigeaient l’été, lorsqu’ils retournaient chez eux aux quatre coins de l’AOF. L’idée était d’africaniser la formation, dans une école dirigée par des professeurs français et avec un enseignement très eurocentré : « En tout cas, on a situé les cahiers. C’était juste pour montrer les réalités africaines, le vécu quotidien des anciens pensionnaires dans les villages les plus reculés », détaille le documentaliste.
Dedans, les cahiers de Ponty décrivent en détail de nombreuses coutumes de l’Afrique de l’Ouest : « Par exemple, il y a des cahiers qui parlent de la cuisine, sur l’alimentation, sur les rites funéraires, comment toutes ces manifestations-là étaient organisées. »
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... utiles à l'administration coloniale
Pour l’universitaire et critique littéraire béninois Guy Ossito Midiohouan, il faut cependant remettre ces productions dans leur contexte historique, celui de la colonisation française, pour les comprendre : « Cela visait d'abord à faire de ces Africains inscrits des agents de renseignement de l'autorité administrative. Ces élèves permettaient une connaissance plus intime, une connaissance de l'Intérieur du pays à administrer. »
La valeur historique des cahiers a été retenue par l’Unesco qui les a intégrés au fonds « Mémoire du monde » en 2015, qui répertorie les archives remarquables du monde entier. Car ils ont aussi été rédigés par des jeunes hommes qui devinrent pour certains de grandes figures politiques en Afrique : « Là, on a aussi l'autre cahier de Diallo Telli, c'est un Guinéen qui a travaillé sur l'alimentation indigène à Poredaka, explique El Hadj Birame Diouf. Boubacar Diallo Telli a été le premier secrétaire général de l'Union africaine ».
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Des cahiers « uniques » et fragiles
Les cahiers de Ponty sont régulièrement consultés par des auteurs et des chercheurs, mais ils sont très fragiles : « Il y a certains cahiers écrits sur du papier qui est assez cassant et jaunissant. Ensuite, l'encre qui est utilisée est une encre délébile qui peut s'effacer avec le temps. Ce sont des cahiers qui sont uniques, donc si vous perdez un cahier, c'est pratiquement tout le vécu qui a été raconté par son auteur qui disparaît en même temps. »
Les documentalistes de l’Ifan sont en train de les numériser progressivement pour préserver ce patrimoine écrit.
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