Reportage France

En Chine, le retour des Français au salon du vin de Chengdu sur un marché marqué par la baisse des ventes

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Plus de 50 exploitants viticoles français ont fait le déplacement cette semaine à la foire aux vins de Chengdu, dans le sud-ouest de la Chine. Un retour en force des bouteilles tricolores, après l’effondrement des ventes et des prix sur le marché chinois

Dégustation sur les stands français de la foire de Chengdu.
Dégustation sur les stands français de la foire de Chengdu. © Stéphane Lagarde/RFI
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De notre correspondant de retour de Chengdu,

C’est l’un des plus grands pavillons du hall réservé aux vins étrangers de la foire de Chengdu. Pour le 60e anniversaire des relations France-Chine, les professionnels français du secteur sont venus groupés dans la capitale de la province du Sichuan. Tous les terroirs et la plupart des appellations sont représentés sous le bleu, blanc et rouge des stands labélisés « goût de France », au troisième étage du plus grand salon « épicerie et alcool » de Chine.  

Baisse de la consommation  

Après le passage à vide des années Covid, l’union fait la force dans un contexte difficile. Car si la foire de Chengdu célèbre son 110e anniversaire cette année, les allées sont loin d’être pleines et l’esprit n’est pas vraiment à la fête. Comme ailleurs, le vin a moins la côte en Chine. Les Chinois, notamment parmi les plus jeunes, se sont rabattus sur d’autres produits jugés plus festifs. On assiste également au grand retour du bajiu. Les producteurs de cet alcool traditionnel chinois à base de sorgho sont parvenus à rajeunir leur clientèle en quelques années, à coup de campagnes publicitaires audacieuses. Certains allant jusqu’à proposer des « crèmes glacées à l’eau-de-vie », interdites aux mineurs.

Plus généralement, la 110e foire de l’alimentation et des alcools est marquée par le ralentissement de l’économie, lié à la crise immobilière qui frappe le pays, mais aussi à une consommation des ménages qui ne s’est toujours pas relevée de la pandémie. Après l’effondrement du marché, les ventes reprennent doucement, sourit Laurent Dubois qui connaît bien ses clients. « Les meilleures années on faisait 400 000 bouteilles par an sur la Chine, aujourd’hui on est tombé à 150 000 », affirme le propriétaire du Château des Bertrand. « J’ai surtout deux gros clients qui marchent bien, mais sinon beaucoup nous disent qu’ils ont du stock. Ils n’ont rien vendu pendant trois ans, ils ont accumulé un peu de dettes. Donc c’est en train de redémarrer, mais ça prend un peu de temps. »

Outre la conjoncture, il y a aussi des changements structurels dans la consommation : « le marché chinois s’est vraiment effondré pendant trois ans et c’est le vin rouge qui régresse le plus. La jeune génération est davantage portée sur la bière ou les cocktails. Pour pouvoir séduire cette nouvelle clientèle, la nouvelle tendance se sont des vins sans alcool ou à faible teneur en alcool autour de 8 ou 9° », poursuit celui qui a amené son côtes de Blaye pour la première fois à Hongkong il y a près de deux décennies.  

« Quatrième sœur chinoise », c’est le pseudo que s’est choisie cette influenceuse qui vend 60 000 bouteilles sur Tik Tok
« Quatrième sœur chinoise », c’est le pseudo que s’est choisie cette influenceuse qui vend 60 000 bouteilles sur Tik Tok © Stéphane Lagarde/RFI

Ventes sur TikTok 

L’intelligence c’est l’adaptation. Après la folie autour des étiquettes bling-bling sur les bouteilles dans les années 2000, c’est le contenu qui doit évoluer et s’adapter aux goûts chinois. Avec des vins plus légers, plus fruités, plus sucrés aussi : « ma cible, ce sont les femmes chinoises », lance Nicolas Billot-Grima ! Lui aussi n’est pas un nouveau sur ce terrain. En 35 ans de Chine, ce propriétaire bordelais et patron du domaine Stone & Moon dans la province chinoise du Ningxia a vu les goûts évoluer ainsi que certaines pratiques. Avec la lutte anticorruption, la tradition des bouteilles offertes dans les « unités de travail » est en voie de disparition. « On boit moins de vin, car avant 50 % de la consommation c’était des cadeaux », précise ce pionnier de la vigne chinoise. « Avec la politique, la pratique a été réduite. En tous cas, que ce soit pour les vins français ou les vins chinois, la clientèle est surtout féminine aujourd’hui. » 

Une clientèle féminine que certains vignerons ont découvert dans le quartier chic et branché de Taikoo Li au centre de Chengdu, pendant les quatre jours « OFF » qui précédent la foire. Après les « afternoon tea », les « apéros vin et gâteaux ». Les femmes sont nombreuses également sur les dégustations du salon. Des clientes, mais aussi de plus en plus de distributeurs femmes comme « Faguo Si Jie », « la quatrième sœur française ». C’est le pseudo que s’est choisi cette Shanghaienne pour vendre des vins français en ligne. « J’ai un compte Douyin, le TikTok chinois, explique-t-elle. J’ai un contact direct avec mes clients ce qui fait que je n’ai pas eu à subir de baisses des commandes. Je vends essentiellement du bordeaux AOC et des bordeaux supérieurs. J’ai vécu à Bordeaux et mes demi-millions de followers savent que Bordeaux est la ville du vin par excellence. » 

Slogans à l’entrée de la foire : « 2024, année de la promotion de la consommation »
Slogans à l’entrée de la foire : « 2024, année de la promotion de la consommation » © Stéphane Lagarde/RFI

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Arrachages et stocks  

Les ventes directes aux consommateurs se portent plutôt bien, surtout quand on a 500 000 abonnés. Pour le reste, c’est la crise malgré les incantations. « 2024, année de la promotion de la consommation », dit le slogan affiché à l’entrée de l’évènement. Autant mouliner dans le vide, sachant que pour l’instant, les foyers chinois continuent de s’accrocher à leur montagne d’épargne accumulée pendant la pandémie.

En France, on arrache des vignes et en Chine on fait des stocks, résume un exposant. Un phénomène vite compris par Victor Mercadier, dont les bouteilles « vinpressionnistes » portent des étiquettes avec les toiles de grands peintres. C’est la première fois en Chine pour cet exploitant installé dans le Languedoc et issu de la 4e génération d’une famille de viticulteurs. « J’essaie d’exprimer le profil organoleptique du vin à travers l’expression de la peinture », répond-t-il aux visiteurs intéressés par les vins du stand Occitanie, région présente là aussi en force sur le salon cette année. « Le marché chinois est déprimé », confie aussi le nouveau venu qui a pris la mesure des difficultés avant d’arriver.« Il y a une contraction de la consommation comme dans de nombreux pays d’Asie. Il y a aussi des problèmes de stock. Certains distributeurs ont accumulé des stocks très importants et il y a eu le Covid derrière, donc ils se sont retrouvés avec beaucoup de bouteilles sur les bras. À un moment donné, il faut les sortir ! Il n’y a pas de magie, il faut casser les prix ! »

Avec ses belles étiquettes et de courtes vidéos en costumes tournées par les élèves de l’école cinéma de Montpellier sur le thème là encore de la peinture, Victor Mercadier espère attirer les importateurs chinois autour d’un concept mêlant l’œnologie à la culture. Il projette aussi d’inviter ses futurs clients dans le domaine familial en France. La France a une identité viticole très forte. C’est cela aussi que recherchent les Chinois, même si une partie de la clientèle s’est repliée sur les vins du Nouveau Monde d’accès moins compliqué. « On aime aller chercher les nouveaux consommateurs, là où on ne nous attend pas forcément », indique Mathias Icard, représentant l’AOC Bordeaux entre-deux-mer. Sur son stand, des vins blancs frappés d’un grand smiley. « Le produit est sorti il y a trois ans en France, on voulait rendre le vin français plus simple et plus accessible. On va aussi essayer d’adapter notre gamme au public chinois en cherchant beaucoup plus de gourmandise, de rondeur, de sucrosité. »   

L’art de l’étiquette à la foire aux vins de Chengdu.
L’art de l’étiquette à la foire aux vins de Chengdu. © Stéphane Lagarde/RFI

Professionnalisation du marché 

La crise que traverse le secteur est l’occasion de se renouveler, disent ces vignerons passionnés. « Nous n’avons pas arrêté de travailler avec nos clients chinois pendant le Covid », tient à rappeler Jean-François Chabod. « Il faut être fier de nos origines françaises », poursuit le directeur export de la maison Jean Loron basée en Sud-Bourgogne. « La bonne nouvelle c’est que le marché chinois continue de se professionnaliser et on a une montée en gamme dans la qualité recherchée. Il faut se battre sur les appellations quel que soit les régions et insister sur la typicité française, dit encore celui qui est revenu trois fois en Chine depuis la réouverture des frontières du pays. » La Chine restant « une priorité pour les producteurs français, même si on est plus dans la configuration d’il y a quelques années ». Sous-entendu, l’eldorado chinois n’est plus. Mais l’appétit pour les bouteilles de qualité devrait revenir.

Même optimisme trois stands plus loin, chez le Finlandais-Bordelais du Château Puybarbe. « Si je compare à ma dernière visite ici en novembre, l’ambiance est plus positive je trouve », affirme Riku Väänänen dans un éclat de rire. « Lorsqu’une récession arrive, les consommateurs achètent moins, le détaillant vide son inventaire, puis l’importateur réduit ses commandes. Tout cela fait partie des cycles, et maintenant j’ai l’impression que commencer le réapprovisionnement des stocks. »       

Riku Väänänen est d’origine finlandaise, mais en Chine il défend les vins du Bordelais.
Riku Väänänen est d’origine finlandaise, mais en Chine il défend les vins du Bordelais. © Stéphane Lagarde/RFI

 Préférence pour les bouteilles lourdes 

« L’entrée de gamme et le très haut de gamme fonctionnent, mais le milieu de gamme a fortement ralenti et il faut sans cesse s’adapter », explique Cyrille Sastre du château Guillemin-la-Gaffelière, grand cru Saint-Émilion sur le salon. « C’est très compliqué, il faut s’adapter au marché chinois qui change tous les six mois. Le packaging, les étiquettes plus dynamiques », ajoute-t-il en présentant une bouteille « l’amour toujours » avec un dessin de french cancan tricolore.Et puis il y a aussi le goût plus sucré ou encore le poids des bouteilles : « Les Chinois préfèrent les bouteilles lourdes, c’est pour eux un gage de qualité. Celle-ci par exemple en forme conique pèse 650 grammes. »

Un effort d’emballage et de marketing indispensable, mais qu’il faut aussi relativiser juge le voisin de stand, Riku Väänänen : « Nous ne sommes pas Martini ou Spritz qui investissent 20 % de leurs revenus dans la publicité. Nous sommes de simples viticulteurs qui essayent de faire leur métier au mieux. » La plupart des exposants ont confiance dans un retour prochain de la demande chinoise, pour l’instant très en retenue. Après tout, il y a de la marge.

« En Chine on ne consomme que 1,2 litre par habitant, contre 47 litres en France, ajoute Nicolas Billot-Grima. Il faut que ce pays continent passe de 1,2 à 3 litres. Quand on arrivera à cela, la planète vin sera heureuse. » En attendant le bonheur, la fête s’achève à la foire de Chengdu. Dans les allées du hall 12, les plus enthousiastes et probablement un chouia éméché célèbrent le retour des bonnes bouteilles à leur manière. « Oh viens, on perd la tête ce soir, on met des soleils dans nos yeux », fredonne l’un des visiteurs, en hochant du bonnet sur la musique qui jaillit de son smartphone. La passion du vin rime ici visiblement avec le plaisir presque gourmand de prononcer des mots français, en l’occurrence les paroles du tube du chanteur Amir.

Avant la fermeture des portes, les groupes de visiteurs âgés entament eux aussi un dernier tour des stands. Une tournée au pas de course, le sport consistant à récupérer un maximum d’objets de promotion des marques représentées. Sacs, tabliers de cuisine et tee-shirts sont engloutis en moins de deux dans des cabas XXL prévus pour cette chasse aux goodies. Et au fait, c’est quoi votre vin préféré ? « J’aime les régions viticoles uniques et de niche avec un goût original. L’équilibre entre acidité et douceur est important pour moi, et je privilégie les arômes fruités intenses », assure une visiteuse peu contrariante, visiblement très heureuse de sa dégustation avec son compagnon, tout aussi joyeux mais moins en capacité de répondre. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, avec modération tout de même.   

Bouteille l’Amou toujours du château Guillemin La Gaffeliere
Bouteille l’Amou toujours du château Guillemin La Gaffeliere © Stéphane Lagarde/RFI

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