Les droits de douane américains frappent durement les fabricants français d’instruments de musique
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Depuis le 7 août, des droits de douane américains de 15% s'appliquent sur les exportations européennes. Les filières du vin, de l’aéronautique ou encore du luxe comptent parmi les plus touchées. Mais ces nouvelles taxes ont aussi de lourdes répercussions sur l’industrie française des instruments de musique, qui exporte massivement outre-Atlantique. Le marché américain capte la moitié des instruments produits dans le monde.

Dans l’imposant atelier de Buffet Crampon, situé à Mantes-la-Ville, à l’ouest de Paris, 15 000 clarinettes sont produites chaque année. Une majorité est exportée de l’autre côté de l’Atlantique, « environ 30% de notre production », estime Jérôme Perrod, président de cette entreprise bicentenaire.
Mais depuis l’entrée en vigueur des taxes américaines, le 7 août dernier, la mélodie a changé, explique ce chef d’entreprise : « On perçoit déjà la baisse du marché liée à des augmentations de prix. Les magasins font preuve d’une grande prudence et ne veulent pas renouveler leurs stocks, car ils ont la crainte que les musiciens achètent moins d’instruments. »
De fait, le marché des instruments de musique à vent se contracte aux États-Unis, en raison d’une augmentation des prix dans le pays, consécutive à l’instauration des droits de douane par l’administration de Donald Trump. La hausse observée varie de 10 à 15%, selon Jérôme Perrod.
À la tête des harpes Camac, entreprise pionnière dans la construction de harpes en France, Jakez François dresse un constat similaire. Le marché américain représente un quart de ses exportations. « Ces droits de douane ont fait bondir nos prix immédiatement. Ils s’ajoutent à la faiblesse du dollar par rapport à l’euro. En combinant les deux, on enregistre une hausse de nos prix de l’ordre de 22% aux États-Unis. »
Le 15 septembre dernier, l’entreprise subit une déconvenue annoncée. « Nous avions un container qui était sur le point de partir avec une quinzaine de harpes. Notre distributeur principal a annulé une grosse moitié de la commande. On se retrouve concrètement dans la situation qu'on craignait », soupire Jakez François. Un coup dur alors que le principal concurrent mondial des harpes Camac se trouve justement aux États-Unis : « Cela rend notre position bien plus difficile vis-à-vis de ce concurrent. »
En revanche, Buffet Crampon est presque en situation de monopole sur le marché des instruments de musique à vent. Alors son président, Jérôme Perrod, avoue ne pas comprendre la pertinence de ces droits de douane : « Nous n’avons aucun concurrent aux États-Unis, donc personne ne va tirer bénéfice de ces taxes américaines. »
Des conséquences sur la qualité des productions
Les droits de douane conclus entre l’Union européenne et l’administration Trump ressemblent bel et bien à un accord perdant-perdant. D’autant plus compromettant que la pratique des instruments de musique à vent est historiquement très ancrée outre-Atlantique. « Il y a une très forte émulation aux États-Unis dans la pratique instrumentale, en particulier en orchestre, dès l’école. La moitié des enfants entre 9 et 12 ans choisissent de pratiquer un instrument à vent, ce qui génère forcément des vocations », rappelle Jérôme Perrod.
Mais à terme, cette tradition pourrait souffrir des conséquences de ces droits de douane, explique Coraline Baroux-Desvignes, déléguée générale de la Chambre syndicale de la facture instrumentale, qui représente une soixantaine d’entreprises du secteur : « Il y a des musiciens qui risquent de retarder l’achat d’instruments de musique en attendant que la situation soit plus propice, ce qui peut avoir un impact sur la qualité des productions musicales. »
Sans compter que la hausse des prix affecte également les instruments d’études, moins chers. « Cela pourrait décourager les musiciens en herbe de se lancer dans la pratique régulière d’un instrument », ajoute Coraline Baroux-Desvignes, qui dit craindre des conséquences sur « plusieurs générations de musiciens ».
Préserver le savoir-faire des artisans
L’eldorado américain devenant de plus en plus inaccessible, les entreprises françaises de la facture instrumentale songent à réorienter leurs exportations vers d’autres marchés. Du côté des harpes Camac, Jakez François dit travailler sur le sujet afin d’atteindre ou renforcer sa présence dans certaines destinations en Asie, notamment en Chine, à Hong Kong ou Singapour.
Une réflexion similaire a été menée à Buffet Crampon. « Mais ces nouveaux débouchés ne permettront sans doute pas de compenser la baisse des volumes exportés aux États-Unis », estime Jérôme Perrod. Le marché américain capte en effet la moitié des instruments de musique produits dans le monde.
Si Jakez François estime que son entreprise peut résister pour le moment, Jérôme Perrod, lui, a été contraint de placer certains de ses salariés au chômage partiel afin de réduire son activité : « Ça nous fait mal au cœur de voir les ateliers vides certains vendredis », se lamente-t-il. Mais c’est la moins pire des solutions pour conserver le savoir-faire de ses artisans, selon le chef d’entreprise : « Il nous faudrait plusieurs années pour reformer des salariés et retrouver les niveaux de qualité que l’on a aujourd'hui. Le chômage partiel nous permet de conserver les effectifs et, le jour où l’activité redémarre, de les faire revenir comme avant. »
S'il ne croit guère à une levée des droits de douane, Jérôme Perrod dit toujours espérer une exemption des taxes américaines sur les instruments à vent. Par ailleurs, la Cour suprême des États-Unis doit se prononcer début novembre sur la légalité des droits de douane imposés par Donald Trump aux partenaires commerciaux des États-Unis.
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