Le Japon, vitrine tardive et culpabilisée de l'inclusivité
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Les Jeux paralympiques débutent ce mardi 24 août à Tokyo. Le Japon compte dix millions de personnes handicapées dans sa population. L'archipel se dit et se veut très inclusif. C'est particulièrement frappant en ce qui concerne l'aménagement de l'espace public. Dans les grandes villes nippones, tout, jusqu'au moindre détail, est conçu pour faciliter la vie des handicapés : celle des malvoyants et des personnes à mobilité réduite notamment.

Les Jeux Paralympiques, qui débutent ce mardi à Tokyo, vont se dérouler dans un contexte sanitaire encore plus périlleux que les Jeux olympiques. Le Japon subit une cinquième vague particulièrement violente de l'épidémie de coronavirus. L'archipel enregistre en ce moment sept fois plus de cas quotidiens de Covid-19 qu'il y a un mois.
Pour autant, seuls 20% des sondés s'opposent à la tenue de ces Paralympiques. À titre de comparaison, peu avant la cérémonie d'ouverture des JO, ils étaient trois fois plus nombreux à réclamer qu'ils soient reportés ou annulés, les jugeant trop dangereux. Les Paralympiques semblent donc un événement plus fédérateur. « Ces Jeux seront un grand moment de bravoure. Tout ce courage va me toucher encore davantage que pendant les JO vu qu'il sera le fait d'athlètes moins valides », s'enthousiasme un employé de bureau tokyoïte. « Contrairement aux Jeux Olympiques, ils ne célébreront pas que la performance mais aussi la différence, la tolérance et l'inclusivité. Cela me tient à cœur », renchérit une adolescente.
« Le jour et la nuit par rapport à il y a vingt ans »
Cet engouement tient au fait que le Japon se dit et se veut particulièrement inclusif à l'égard des personnes handicapées. L'aménagement de l'espace public en témoigne.
À Tokyo, 97% des stations de métro ainsi que la plupart des bus sont accessibles aux personnes à mobilité réduite. Aux carrefours, le trottoir et la chaussée sont de plain-pied, le dénivelé ayant été supprimé pour faciliter les déplacements des personnes circulant en fauteuil roulant. De véritables cheminements tactiles ou sonores ont été mis au point à l'attention des malvoyants. Des revêtements de sol en relief, omniprésents, les guident dans leurs déplacements. Des signaux sonores ou des messages les renseignent aussi quand le feu passe au vert pour les piétons ainsi que dans les ascenseurs ou sur les escalators, dans les rames de train ou de métro, et même dans les toilettes publiques.
En outre, beaucoup de programmes de télévision sont sous-titrés à destination des malentendants. Il n'est pas imaginable qu'un responsable prenne la parole publiquement sans que ses propos soient traduits en langue des signes. Une langue que maîtrise d'ailleurs parfaitement la princesse Kako, une des nièces de l'empereur Naruhito.
« En termes d'inclusivité, le Japon a fait énormément de progrès par rapport à il y a vingt ans. C'est vraiment le jour et la nuit, résume Satoshi Sato, qui dirige une association de handicapés. Le Stade national de Tokyo, d'ailleurs, que l'on a construit pour ces Jeux d'été, est une merveille en la matière. »
25 000 handicapés mentaux stérilisés contre leur gré
Dans son rapport aux handicapés, le Japon est un pays modèle : c'est le message qu'il va essayer de faire passer au monde entier à la faveur des Paralympiques. Ce n'est pas faux. Mais cette inclusivité nippone ne naît pas de rien. Elle se nourrit d'un profond sentiment de culpabilité par rapport au passé. Car, pendant près de cinquante ans, le Japon a maltraité – et même martyrisé – les handicapés.
En vertu d'une loi dite « de protection eugénique » votée en 1948, qui visait à éviter les naissances de « progénitures de rang inférieur » et n'a été abrogée qu'en 1996, le Japon a stérilisé de force ou contraint à avorter 25 000 handicapés mentaux, personnes atteintes de maladies génétiques héréditaires ou de maladies contagieuses (la lèpre, singulièrement), handicapés physiques (sourds-muets ou aveugles) ou petits délinquants qui, jugeait-on, « troublaient l'harmonie sociale »,.
Peu avant son décès, en 2013, Chizuko Sasaki, fut une des premières à en témoigner publiquement. Infirme moteur cérébral, elle fut stérilisée contre son gré en 1968, à l'âge de 20 ans. « Je n'ai pas eu le choix : on m'a dit qu'il n'était pas question de prendre le moindre risque que je tombe enceinte, expliqua-t-elle. Chaque jour, pendant plus d'une semaine, on m'a administré de fortes doses de rayons gamma. C'était atroce. J'ai eu des nausées épouvantables. Je me sentais extrêmement mal. »
Kikuo Kojima, qui est âgé aujourd'hui de 79 ans, a été stérilisé en 1971. Son enfance ayant été « un peu difficile, entre décrochage scolaire et 400 coups », des médecins ont décrété qu'il était schizophrène. « Aucun psychiatre ne m'a jamais examiné. Le diagnostic a été fait dans un bureau, par un fonctionnaire lambda, sur base du dossier de l'assistance sociale. L'opération a été un calvaire. On ne m'a fait qu'une petite anesthésie. J'ai souffert le martyre. »
Comme plusieurs dizaines de Japonais stérilisés de force ou contraints à avorter, Kikuo Kojima a saisi la justice pour obtenir des dédommagements. En vain : le droit nippon ne permet pas de demander réparation plus de vingt ans après les faits que l'on incrimine.
Une repentance a minima
L'application aussi stricte des règles relatives à la prescription a heurté les médias et l'opinion. Il y a deux ans, soit plus de sept décennies après l'entrée en vigueur de la législation eugéniste, l'émotion publique ne s'apaisant pas, le Parlement a fini par voter une loi qui a indemnisé chaque victime à hauteur de 3,2 millions de yens (quelque 25 000 euros, au cours actuel).
Le Premier ministre de l'époque, Shinzo Abe, a ensuite fait part de ses « profonds regrets » et a présenté ses excuses aux personnes concernées. Mais, à l'heure où l'inclusivité n'était pas encore une priorité de communication politique à Tokyo, aucun discours solennel n'a consacré cet acte de repentance tardif : seul un communiqué laconique a été diffusé.
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