Reportage international

Afghanistan: les conséquences de la victoire des talibans pour l'Asie du Sud-Est

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En Asie du Sud-Est, l’impact de la victoire des talibans prend un tour inquiétant. Utilisé pour booster le moral de certains groupes jihadistes, le modèle des talibans semble également renforcer leur motivation à instaurer un califat. 

Un combattant taliban tient son arme sous des drapeaux talibans accrochés dans une rue de Kaboul, en Afghanistan, le lundi 30 août 2021.
Un combattant taliban tient son arme sous des drapeaux talibans accrochés dans une rue de Kaboul, en Afghanistan, le lundi 30 août 2021. © AP/Khwaja Tawfiq Sediqi
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De notre correspondante à Kuala Lumpur,

Lorsque le jeune Nasir Abas a été envoyé en Afghanistan en 1987 par Abu Bakar Bashir, le futur leader du groupe terroriste Jemaah Islamiyah, c’était avec la promesse de défendre les moudjahidines contre l’invasion russe. Mais arrivé sur place, l’adolescent a vite déchanté.

J’ai été si frustré, car on ne m’avait pas dit qu’en Afghanistan, je ne ferai qu’aller dans leur académie militaire. Moi je venais de lâcher l’école, je voulais combattre ! Mais en fait je suis retourné dans une autre école où j’ai tout appris sur l’armement, comment tirer, mais aussi comment faire des armes, comment fabriquer des bombes, la chimie nécessaire pour ça. En fait, la mission première d'Abu Bakar Bashir était de former des gens là-bas pour ensuite rapporter ce savoir-faire en Indonésie. 

Des liens qui restent importants

Et c’est ce que fera ensuite Nasir Abas en entraînant sans le savoir les futurs poseurs de bombes des attentats de Bali, de Jakarta ou de Makassar. Aujourd’hui, l’homme a 52 ans et a changé de camp, il lutte contre la radicalisation et collabore avec les autorités.

Mais les liens entre les groupes qui soutiennent al-Qaïda en Asie du Sud-Est et l’Afghanistan restent, selon lui, importants. « Jemaah Islamiyah est toujours admiratif de ce qu’ils ont appris en Afghanistan, et c’est toujours ce savoir-faire qui est enseigné, répliqué… », souligne Nasir Aba.

Tenter de faire venir des talibans en Asie du Sud-Est

Depuis la victoire des talibans, le moral de ce groupe qui veut instaurer un califat en Indonésie est au beau fixe, et l’ancien jihadiste confirme leur envie pressante de retourner en Afghanistan, ou à défaut, de faire venir des talibans pour apprendre auprès d’eux. « Ils placent beaucoup d’espoir dans les talibans. Dieu merci, à cause de la pandémie, les frontières des différents pays sont très surveillées et difficiles à passer », dit-il.

Mais il n’y a pas que Jemaah Islamiyah, qui tâche d’établir des liens avec l’Afghanistan. Du côté des sympathisants de Daech, l’admiration pour leurs homologues afghans a déjà motivé certains à partir, rappelle Sana Jaffrey de l’Institute of Policy Analysis of Conflict.

Les départs ont débuté quand il est devenu impossible d’aller en Syrie. Il y a a priori autour de 23 Indonésiens. Sept d’entre eux ont été mis en prison, car ils ont été attrapés au moment de traverser la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan. Actuellement, on ne sait pas s’ils ont été libérés par les talibans, s’ils sont toujours en prison ou ailleurs.

Quelques soutiens prudents

Sur le plan politique enfin, l’Asie du Sud-Est a vu certains groupes féliciter les talibans pour leur victoire. Parmi eux, le Parti islamique malaisien, aujourd’hui dans la coalition au pouvoir selon l'analyse du chercheur Ahmad el-Muhammady. « C’est un soutien qui reste prudent, encore. Ils félicitent les talibans en assurant qu’ils ont libéré le pays de l’occupation américaine, qu’ils semblent avoir appris de leurs erreurs, qu’ils ont changé et que notre perception d’eux doit donc aussi changer. » 

Cette volonté de croire en ce changement est partagée au-delà du Parti islamique. Une députée d’un autre parti au pouvoir a ainsi proposé d’aller en Afghanistan pour aider les talibans à s’inspirer de la Malaisie en matière de droit des femmes.

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